Chronique : L’Amant fantasmatique [roman] – Guy Bordin – Éditions Maïa

L’Amant fantasmatique. Voilà un titre puissamment évocateur qui m’a aussitôt interpellé lorsque l’ethnologue Guy Bordin, son auteur, m’a proposé de découvrir ce court roman mariant habilement onirisme et érotisme gay saupoudrés d’un zeste de fantastique sur fond de mythologie inuite et d’enquête policière en terres bretonnes.

Descriptif technique


L’auteur : Guy Bordin est ethnologue et réalisateur. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur le monde inuit ; il a également coréalisé huit films. L’Amant fantasmatique est son premier texte de fiction.

Illustrateur (couverture) : Renaud de Putter

Date de la première publication : avril 2020

Genre : Littérature française

Éditeur : éditions Maïa

Nombre de pages : 117

Résumé de la quatrième de couverture


Les Esquimaux croient en l’existence d’amants fantasmatiques. Le narrateur l’apprend de son cousin historien du Canada, dont il est discrètement épris, quelque temps après leur arrivée dans une maison isolée entre lande et forêt bretonnes, où tous deux se sont retirés pour travailler. Mais le séjour prend bientôt une tournure inattendue, avec d’hallucinantes flambées de désir, entre Finistère et étendues arctiques.

Mon avis


Les fidèles de ce blog ou les curieuxes s’étant un jour égaré•e•s du côté de ma chaîne YouTube ont déjà pu constater ma curiosité naturelle pour mes semblables et les sujets qui les fascinent, les révulsent ou les questionnent. Peut-être est-ce dû à ma condition d’écrivain, ou alors à ma transidentité, mais voilà longtemps que je me passionne pour la sociologie, la psychologie, l’ethnologie, l’anthropologie, bref, pour toutes les sciences qui nous racontent l’Humanité à travers ses croyances, ses lubies, ses fantasmes et ses ombres. Je ne pouvais donc résister à la tentation de lire un ethnologue spécialiste de la culture Inuite qui s’essaie à la fiction en plaçant au centre de son récit la croyance des Esquimaux en l’existence d’amant•e•s fantasmatiques, des êtres qui se révèlent aux humain•e•s dans leurs rêves pour s’unir avec elleux.

Finalement, quoique ce concept constitue la base du récit, nous n’en apprendrons guère davantage sur cette croyance inuite, mais je n’ai pas été déçu pour autant. L’Amant fantasmatique m’a entraîné sur des chemins inattendus mais cependant plaisants. Cet effet de surprise qui m’empoignait à mesure que je tournais les pages a joué un rôle important dans mon appréciation de cette histoire. Je trouve en conséquence particulièrement difficile de lui rendre justice sans rien gâcher du plaisir de celleux parmi vous qui souhaiteraient la lire prochainement.

L’exposition de la situation initiale nous apprend qu’au début des années 1980, le narrateur – qui nous livrera l’intégralité du récit de son point de vue à travers le journal qu’il rédige, document tenant à la fois du journal de bord et du journal intime – et son cousin Jean se sont retirés dans un coin isolé de Bretagne pour travailler à la préparation de la rédaction d’un livre. Toutefois, dans la promiscuité à laquelle les contraint la cabane qui les abrite, l’attrait sensuel que le narrateur éprouve pour son cousin finit par devenir étouffant, quasi-obsessionnel, et sa productivité en pâtit.

À première vue, L’Amant fantasmatique ressemble donc à un roman homo-érotique tout ce qu’il y a de plus classique, mais très vite le récit prend une tournure surprenante.

L’Amant fantasmatique, simple homoromance érotique ?

De prime abord, il pourrait être tentant de classer l’Amant Fantasmatique dans la seule catégorie M/M (relation mâle/mâle), et ce d’autant plus que tous ses personnages sont des hommes gays et que l’homosexualité y occupe une place centrale. Cependant, si ce roman relève incontestablement en partie de ce genre, il serait réducteur de l’y cantonner. Attention, je ne pose aucun jugement de valeur sur les récits érotiques ou les romances gays ou lesbiennes en disant cela. Je ne trouve pas que des genres littéraires valent plus que d’autres et n’établit entre eux aucune hiérarchie, n’en déplaise aux esprits qui ne jurent que par la « littérature blanche » (qualificatif qui conviendrait tout aussi bien aux œuvres M/M d’ailleurs, me souffle mon esprit mal tourné), mais je sais que ce n’est pas le cas de tout le monde hélas et c’est bien dommage. Dommage pour toutes les excellentes œuvres étiquetées « M/M » boudées à cause des préjugés sur ce que serait ou non la « vraie littérature », et dommage plus particulièrement pour les lecteurs•trices qui passeraient à côté de L’Amant fantasmatique à cause de ces mêmes préjugés.

L’Amant fantasmatique fait la part belle au désir homosexuel en le plaçant au centre du récit, mais il nous raconte surtout la déliquescence mentale d’un homme – le narrateur – se consumant de passion pour un corps hors de sa portée. L’objet de sa convoitise demeurant inaccessible, son désir croît et s’intensifie jusqu’à virer à l’obsession. Heureusement pour lui, le petit village isolé où il loge avec son cousin abrite un nombre étonnant d’hommes gays disposés à satisfaire ses appétits lascifs et ce qui devait être un séjour studieux devient un marathon lubrique tandis qu’il s’abandonne au plaisir en leur compagnie, mais aussi en présence d’amants plus étonnants.

Vous devinez que le roman ne porte pas le titre d’Amant fantasmatique sans raison. Nourris par le désir inassouvi du narrateur pour son cousin, des visiteurs oniriques le courtisent également. Le récit se teinte d’une dimension fantastique lorsque ces êtres de fantasme quittent le monde des songes pour le rejoindre au pied du chêne où il a pris l’habitude de se soulager chaque soir par une séance de masturbation de la tension sexuelle accumulée durant la journée passée auprès de son cousin. Mais au pied de ce chêne viennent aussi plus ou moins régulièrement ses amants humains, et lorsqu’ils ne viennent pas, le narrateur s’arrange pour les retrouver en ville.

Cette succession de scènes érotiques parfois émaillées de vocabulaire cru dérangera peut-être les lecteurs•trices les plus prudes ou celleux qui ne sont simplement pas fans de ce genre d’écrits. Moi-même, qui suis pourtant un habitué de ce style de récit, ai été surpris par leur nombre et les circonstances dans lesquelles elles surviennent. Mais plus j’avançais dans ma lecture, plus je trouvais ces scènes pertinentes par rapport au thème du récit mais surtout à la psychologie du narrateur, personnage qui devient de plus en plus intriguant, voire inquiétant.

A-t-il vraiment vécu toutes les scènes qu’il rapporte dans son journal ou s’agit-il seulement de songes et de fantasmes ? Si elles ne se sont pas produites dans la réalité matérielle et terrestre, en a-t-il conscience ou croit-il sincèrement à leur véracité ? Sont-elles réelles ou bien le narrateur est-il le jouet et la victime de ses sens ? A-t-il bien toute sa raison ?

Au milieu des débauches clandestines entre les amants, humains et fantasmatiques, la disparition d’un scout dans la forêt derrière la cabane où séjournent les deux cousins donne lieu à une enquête policière dont la progression ajoute au récit une couleur de mystère supplémentaire. Un meurtrier sévit donc dans la nature et notre narrateur pourrait fort bien le croiser lors de ses séances de plaisir solitaires ou accompagnées dans les bois. Le frisson augmente, les doutes aussi.

Les amants fantasmatiques entraînent le narrateur de plus en plus loin dans la forêt et leurs manifestations s’accompagnent d’autres étranges phénomènes. La question de la réalité de ces êtres et des apparitions qui les accompagnent devient de plus en plus accaparante. S’ils existent véritablement, alors le narrateur a des raisons de s’inquiéter : lorsqu’il a évoqué ce sujet avec son cousin, celui-ci a précisé que les Esquimaux croyaient qu’entretenir une telle relation finissait par détruire l’amant humain. Le narrateur n’a d’ailleurs pas manqué de faire lui-même le rapprochement entre ces êtres et les succubes et les incubes de la mythologie biblique. Mais s’il ne s’agit que d’images fabriquées de toutes pièces par le cerveau du narrateur, alors c’est pour sa santé mentale qu’il faut nous inquiéter…

Le génie de L’Amant fantasmatique réside pour moi dans cette délicieuse ambiguïté entretenue par l’auteur qui nous tient en permanence sur le fil entre l’éveil et le songe. Une frontière fine que l’esprit humain peut transcender de diverses manières.

Un récit louvoyant entre songe et réalité, entre désir, plaisir et… folie ?

La subtilité de L’Amant fantasmatique tient tant de son écriture que de son mode de narration interne judicieusement choisi. Chaque être humain, même celui qui nous paraît parfois présomptueusement le plus bête que nous ayons rencontré, constitue un être complexe fait d’une somme d’expériences qui lui ont conféré son caractère, ses convictions et ses contradictions. Notre narrateur n’échappe pas à la règle et même si je l’ai parfois trouvé inquiétant jusqu’au malaise, j’ai savouré cette plongée dans les méandres de son esprit captif du désir. Plus je lisais, avide de mieux le connaître, et plus je me rendais compte à quel point les mécanismes psychologiques des êtres humains sont denses, enchevêtrés les uns dans les autres mais aussi dans des éléments extérieurs dont nous n’avons pas toujours conscience, et rendent complexe de cerner une personne – y compris nous-même.

L’impossibilité de reléguer catégoriquement les amants fantasmatiques qui le visitent au rang de fantasme ou d’hallucination confère au récit une touche fantastique persistante tandis que l’étrangeté de son ambiance s’épaissit et la rend plus oppressante. Nous-même ne savons plus ce qui est réel et ce qui ne le le serait pas. Et si le narrateur était victime d’onirisme ? En psychologie, ce terme désigne une « forme aiguë ou subaiguë de délire, souvent due à une infection ou à une intoxication, caractérisée par la production, à l’état de veille, d’hallucinations comparables à celles du rêve et entraînant des réactions affectives et motrices », tandis que la psychiatrie le définit comme « une activité mentale pathologique faite de visions de scènes animées semblables au rêve. L’onirisme entre alors dans le cadre des hallucinations visuelles, souvent associées à des états de confusion mentale. » (Source.)

Ce phénomène correspond plutôt bien à ce que décrit le narrateur et expliquerait, outre la présence des amants fantasmatiques, pourquoi il trouve autant d’hommes gays facilement disposés à le satisfaire dans un endroit aussi isolé que celui où son cousin et lui sont censés se trouver. En effet, si tous les événements vécus par le narrateur ou la plupart d’entre eux relèvent d’hallucinations créées par son cerveau, il ne faut pas s’étonner de le voir concrétiser autant de ses fantasmes excitants durant son bref séjour. Pour autant, cette hypothèse ne peut tout justifier non plus à elle seule tandis que le narrateur continue à s’enfoncer dangereusement sur les chemins ardents du désir, jusqu’à un point où tout retour pourrait bien devenir impossible…

L’Amant fantasmatique est digne de ces films qui donnent envie de les revoir une deuxième fois à peine achevés pour mieux en savourer toutes les subtilités.

Le roman m’a tellement plu que j’ai souhaité en savoir plus sur l’auteur et ses sujets d’étude. Parmi les ressources en ligne, j’ai trouvé la conférence ci-dessous que j’avais prévu de regarder « plus tard » après avoir terminé ce que j’étais en train de faire, mais 5 phrases plus loin, j’étais pendu aux lèvres de Guy Bordin et j’ai tout regardé d’une traite. Je vous la recommande pour sa qualité pédagogique.

Merci pour votre attention.

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@ bientôt pour de nouvelles chroniques !

Chris

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2 commentaires sur “Chronique : L’Amant fantasmatique [roman] – Guy Bordin – Éditions Maïa

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  1. Bonjour
    Personnellement je lis très peu de romances homosexuelles, mais il semble que cet ouvrage aborde partiellement la culture inuit, ce qui me plairait.
    Au travers de l érotisme, on peut aborder d autres thèmes transversaux, subversifs. J’apprécie les romans qui ont la capacité de se plonger dans les méandres de l’esprit humain, pour en montrer les failles et les limites.
    Pour ma part , j’aime les récits érotiques lorsque les scènes de plaisir ne sont pas gratuites. A mes yeux, l érotisme est avant tout une humanité qui doit transmettre des messages. On dit beaucoup de choses par la communication corporelle. D’ailleurs, les rêves érotiques en disent long sur notre inconscient 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour Alexandre,

      Je vois que nos pensées se sont croisées ^^

      La culture inuite n’est que superficiellement abordée dans l’ouvrage à travers cette question des amants fantasmatiques, en revanche les méandres de l’esprit humain y sont parfaitement illustrés 😉

      Je suis plutôt de votre avis concernant l’érotisme. Une succession de scènes sexuelles qui ne servent pas le récit d’une manière ou d’une autre finit toujours par me lasser. Mais évidemment, chacun•e appréciera différemment ce critère.

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