Bonjour à touStes,
Il est temps de retrouver Leon dans notre fanfiction crossover entre les jeux Dead by daylight et Resident Evil.
Dans le chapitre précédent, Leon et Claire arrivent en ville et trouvent un paysage d’apocalypse. Raccoon City est déserte… ou presque. Des hordes de zombies errent dans les rues et attaquent leur voiture. Les deux jeunes gens sont séparés mais chacun d’eux compte poursuivre leur objectif commun : gagner le commissariat dans l’espoir de s’y mettre en sécurité et d’y recueillir des informations sur les événements qui frappent la ville.
Les forces de police de Raccoon City pourront-elles leur venir en aide ?
Bonne lecture !
| Vous prenez la série en cours de route ? Pas de panique. Retrouvez ici : – l’introduction : fiche d’identité de Leon Kennedy ; – le chapitre 1.1.a : Bienvenue à Raccoon City ; – le chapitre 1.1b : Un fumet d’Apocalypse. |

– Chapitre 1 –
Partie 2 : L’Origine de l’épidémie (2016)
Leon avait espéré trouver assistance au commissariat. Au lieu de quoi, il y découvrit la même désolation que dans le reste de la ville. L’état des forces de police était aussi peu reluisant que celui de la population. Tous les policiers étaient portés disparus ou morts.
Tous, sauf deux.
Le lieutenant Marvin Branagh, gravement blessé, et un autre flic qui se trouvait dans un couloir, aux prises avec des zombies. Il affirmait qu’il avait déniché un moyen de quitter la ville et réclamait de l’aide via les caméras de surveillance. Leon s’était précipité pour lui porter secours, mais il était arrivé trop tard. Tout ce qu’il avait pu faire pour lui avait été de lui tenir la main pendant qu’il agonisait, les jambes séparées de son tronc par une abomination qui l’avait sectionné en deux.
Leon savait que les images des derniers instants de cet homme à jamais anonyme le hanteraient jusqu’à l’heure de sa propre mort.

N’importe qui aurait besoin de quelques années de thérapie quand vous avez contemplé l’intestin grêle d’un collègue sous la lumière crue d’une ampoule électrique avant même de pouvoir apprendre son prénom.
Hélas, deux heures plus tard à peine, Leon devait abattre le lieutenant Branagh à son tour. L’étrange infection l’avait gagné lui aussi. Il s’était transformé pendant que Leon cherchait un moyen sûr de leur faire quitter le commissariat.
Livré à lui-même dans une Raccoon infectée des caves aux greniers par un mal dont il ignorait toujours tout, Leon chercha à s’échapper. Sa quête d’une issue le conduisit dans le parking du commissariat. Il espérait pouvoir accéder à l’extérieur par l’une des portes du parc de stationnement. Il se maudit pour sa ganacherie lorsqu’il s’aperçut qu’une carte électromagnétique était nécessaire pour pouvoir les déverrouiller. Évidemment. Il aurait été étonnant que le commissariat laisse son parking en libre accès…
Il était en train d’examiner l’appareil de lecture de carte en imaginant comment il pourrait contourner la sécurité quand un bruit sinistre s’éleva dans son dos. Le volume et la fréquence gutturale du grognement laissaient deviner une large cage thoracique et trahissaient la puissance de la chose qui le poussait.
Oh non…
Leon se retourna. Un doberman se tenait devant lui. Son poil hérissé et ses babines retroussées sur ses crocs l’inquiétèrent moins que les multiples plaies saigneuses qui marquaient son corps. Son regard d’un blanc laiteux, qui rendait ses yeux semblables à deux perles d’ivoire fichées dans ses orbites, lui rappela celui de l’homme qu’il avait abattu un peu plus tôt dans le magasin de la station service. L’animal paraissait frappé du même mal que tous les humains qu’il avait croisés jusqu’ici.
Leon maugréa :
« C’est pas vrai ! »

Le chien tendit les muscles puissants de ses postérieurs et bondit. Son corps massif percuta Leon en pleine poitrine. Le Wing Shooter échappa de ses mains tandis qu’il tombait à la renverse. Un éclair de souffrance aiguë le traversa quand son dos heurta le sol en béton. Il y prit à peine garde. Les mâchoires écumeuses du canidé claquaient en tentant de se refermer sur sa gorge.
Leon maintenait leurs têtes à distance l’une de l’autre en lui enserrant le cou des deux mains, mais il sentait qu’il ne tiendrait pas longtemps. Ses bras tremblaient violemment, éprouvés par la force bestiale du doberman. L’énorme gueule baveuse gagnait du terrain centimètre par centimètre. L’haleine de sulfure et de charogne qui s’en exhalait se déversait sur son visage comme les vapeurs d’une bouche d’égouts.
Dans les yeux blanchâtres du molosse, Leon lut sa propre mort.
Il ne pouvait remporter un combat au corps-à-corps contre un tel adversaire. Pas à mains nues.
Dans un élan de désespoir, il lâcha la prise qu’exerçait l’une de ses mains, ne repoussant plus le chien que d’une seule en tentant d’attraper le Wing Shooter avec l’autre.
Ses doigts en effleurèrent la crosse sans parvenir à s’en saisir.
Le flingue avait glissé un peu trop loin, et tendre davantage le bras pour s’en emparer affaiblirait sa position. Le doberman n’aurait qu’à planter ses crocs tout droit dans son visage. Ceux-ci s’en rapprochaient de plus en plus.
Leon cessa d’essayer de récupérer son arme pour mobiliser à nouveau ses deux mains autour de la gorge de son adversaire. Son corps entier tendu dans la lutte s’arqua contre le béton. Il essayait de déstabiliser le doberman dont le poids le clouait au sol. En vain.
La gueule impavide n’était plus qu’à un croc de ses iris. Son souffle chaud nauséabond se répandit sur ses joues. Caressa ses yeux.
Juste avant de voir la mort lui fondre dessus, Leon eut le temps de se faire une réflexion.
La mort puait salement de la gueule.
Une détonation sonore retentit dans le parking. Des balles surgies de nulle part s’enfoncèrent dans la gorge du chien, emportant une partie des chairs au passage. Le molosse s’écroula sur Leon avant que son poids ne fasse glisser sa carcasse sur le côté.
La respiration haletante, l’esprit dérouté, sous le choc de cette intervention inopinée, Leon contempla sans y croire la masse de muscles inerte à côté de lui.
Il s’en était fallu de si peu que son cerveau ne réalisait pas encore tout à fait qu’il avait survécu.
Une voix de femme le tira de sa sidération.
« Eh ! »
Leon se redressa à moitié, le cœur battant à se rompre dans sa poitrine. Une silhouette féminine se détachait contre les ombres du parking.
« Qui êtes vous ? » s’enquit-il, la voix aussi secouée que le reste de sa personne.
« Attention », dit la femme.
Leon tourna la tête à l’instant où un grognement féroce l’informait que le chien n’était pas réellement mort. Mû par ses réflexes, il saisit le Wing Shooter et lui décocha une balle en pleine tête.
Le molosse s’écroula une deuxième fois. Le regard de Leon s’attarda sur lui la fraction de seconde nécessaire pour s’assurer qu’il ne se relèverait pas, puis retourna à la nouvelle venue. Cette dernière avançait dans sa direction dans le claquement de ses talons haut. Elle portait un trench-coat beige qui dissimulait son corps jusqu’à ses genoux et des lunettes noires masquaient ses yeux. La méfiance naturelle de Leon et la nervosité qui l’animait dans cet environnement hostile s’accommodèrent mal de ce look à la Mrs Smith. Il braqua la femme avec le Wing Shooter.
Elle aussi le tenait en joue.
Elle désigna le flingue dont le canon pointait vers elle.

« Baisse ça. »
Leon connut un instant de flottement. L’inconnue l’avait sauvé, mais sa présence possédait quelque chose de subtilement menaçant.
Il hésita.
Comme il demeurait figé, la femme sortit un porte-cartes qu’elle ouvrit. Leon y vit une carte et un insigne facilement identifiables.
« FBI », dit-elle, mais elle n’en aurait pas eu besoin.
Leon accusa la surprise avant de se ressaisir. Il baissa son arme avec un soulagement qu’il ne chercha pas à dissimuler.
« Désolé. Merci pour votre aide. »
Un nouveau grondement s’éleva sur sa droite. Cette fois, Leon n’eut pas le loisir de réagir. Le doberman remua à peine qu’une balle siffla dans sa direction et lui traversa le crâne.
Leon contempla son cadavre – car il était définitivement mort cette fois, il en était sûr – puis la femme avec un effroi impressionné. Son tir avait été si vif et si précis ! Si elle n’avait pas été du FBI, il aurait eu peur d’elle.
Il ne chercha pas à cacher l’admiration qu’il éprouvait davantage que le soulagement qui l’avait saisi quelques instants plus tôt. Le Leon de Raccoon-City n’avait pas encore eu le temps d’acquérir le masque de neutralité que tous les flics apprennent à revêtir dans leurs fonctions. Non par goût de la duplicité, mais par nécessité vitale pour les besoins de leurs enquêtes ou simplement pour leur survie.
Laissez vos interlocuteurs deviner vos pensées ou vos émotions, c’est leur donner plusieurs coups d’avance sur vous.
La femme, en revanche, le toisait avec une moue condescendante.
« Je me demande comment tu as survécu », lâcha-t-elle avant de s’éloigner.
Leon ne releva pas l’insulte. À son niveau, il pouvait comprendre qu’elle le prenne pour un bleu – ce qu’il était vraiment. Elle ne pouvait savoir qu’il faisait son entrée dans la police aujourd’hui.
Trop content d’avoir trouvé une figure humaine et une consœur qui savait visiblement ce qu’elle faisait, il se releva pour lui emboîter le pas.
« FBI hein ? » lança-t-il, à la fois inquiété et intrigué par la présence d’une membre de ce service fédéral de police en ces lieux. « Qu’est-ce qui se passe ici ? »

La femme n’eut pas un regard pour lui.
« Désolée, cette information est confidentielle. »
– Vous allez où ? »
La façon dont elle pivota vers lui traduisait tout l’agacement qu’il devait lui inspirer aussi bien que la réponse qu’elle lui fit :
« Un conseil pour ton bien : ne pose pas de questions et fiche le camp d’ici. »
Dépité, Leon la regarda lui tourner le dos. Il jeta un coup d’oeil à l’automate chargé de la lecture des cartes de parking.
Si seulement il savait comment contourner le système de sécurité…
Mais il était flic, pas hacker.
« Eh ! », lança-t-il en se jetant à la suite de sa consœur. « Mais qu’est-ce que je dois faire ? »
Mais elle avait disparu.
Une flambée de colère s’empara de Leon. Il ne comprenait pas pourquoi cette femme, prétendument une collègue, le laissait en plan au beau milieu d’un endroit si dangereux. Elle avait insinué qu’elle en savait beaucoup plus que lui sur ce qui se tramait dans cette ville, et c’était certainement vrai puisqu’elle avait été envoyée par le FBI. Leon comprenait qu’elle ne souhaite pas lui révéler ses informations, mais à sa place jamais il n’aurait laissé un confrère dans l’ignorance de ce qui se passait se débrouiller seul dans cet enfer.
Elle en avait de bonne avec ses conseils, celle-là. Évidemment qu’il aurait aimé ficher le camp d’ici ! Mais il méconnaissait le moyen d’en partir en vie.
Faute d’une autre option, il emprunta donc la porte qu’il supposait que la femme avait prise pour quitter le parking.
Cette porte débouchait dans les sous-sols du commissariat, plongés dans le noir total à cause d’une coupure électrique. À force de les parcourir à la recherche d’une sortie providentielle, Leon finit par arriver dans la partie qui tenait lieu de prison provisoire. Avec ses deux rangées de cellules rectangulaires alignées de chaque côté de la pièce, l’endroit lui rappelait une fourrière animale.
Ce fut encore plus le cas lorsqu’il entendit les premiers grognements monter des cellules. Plusieurs prisonniers se jetèrent contre leurs barreaux, grondant comme des chiens sur son passage en tendant les bras pour essayer de l’attraper.
Leon les considéra d’un air de pitié.
L’infection avait frappé jusqu’à ces hommes et ces femmes dans leur captivité souterraine…
Il ne se rappelait plus à partir de quel moment il avait commencé à croire en l’hypothèse d’une épidémie. Peut-être depuis l’instant où il s’était rendu compte que plusieurs personnes présentaient les mêmes symptômes. Ou peut être était-il simplement trop cartésien pour croire que des morts puissent revenir à la vie.
Les morts restaient morts. Il en allait ainsi depuis le début du monde et il en irait toujours de même. Et si, par il ne savait quelle facétie, certains d’entre eux se relevaient de leurs tombeaux un jour, Leon trouverait totalement illogique que des balles puissent mettre un terme à leur existence.
Quelle sorte de flingue magique pourrait tuer ce qui est déjà mort ?

Tous ces gens qu’il voyait ne pouvaient donc être de véritables zombies. Il s’agissait de citoyens infectés par un mal inconnu. Probablement une bacille ou un microbe particulièrement agressif capable de se développer aussi bien dans l’organisme humain que dans un corps animal. Mais découvrir la nature exacte du mal à l’œuvre à Raccoon City ne représentait qu’un intérêt limité en cet instant.
Ce dont souffraient exactement tous ces gens qui l’observaient en grondant comme des bêtes sauvages tandis qu’il progressait au milieu d’eux ne changeait rien au caractère critique de la situation.
Une réplique du film La Famille Addams fusa de sa mémoire :
Est-ce qu’ils sont morts ? Quelle importance !
Authentiques morts-vivants ou victimes d’une pathologie inconnue, ils essayeraient de le bouffer tout pareil s’ils parvenaient à s’échapper de leurs prisons.
Le regard de Leon tomba sur un inconnu ventripotent derrière les barreaux de sa cellule. L’homme le contemplait de ses yeux vitreux, blancs et vides comme ceux d’un poisson mort. Les mains et les avant-bras ensanglantés qu’il tendait mollement dans sa direction à travers les barreaux laissaient penser qu’il était blessé, mais Leon ne décelait aucune plaie sur son corps.
La nature de sa blessure lui apparut brusquement lorsque le faisceau de la lampe torche accrocha son visage.
L’homme n’avait plus que deux trous rouges béants aux places qu’auraient dû occuper ses oreilles.
Un coup d’œil vers le béton de la cellule où traînait l’un des organes à moitié grignoté confirma qu’il l’avait arraché lui-même. Quant à savoir ce qu’il avait fait de l’autre… Leon n’eut pas le courage de fouiller le sol du regard pour vérifier si la seconde oreille s’y trouvait ou si l’homme l’avait entièrement dévorée comme il le soupçonnait.
Cette fois, ce fut une réplique d’Apocalypse Now qui surgit de sa mémoire :
Avant je croyais que, si je mourrais dans un endroit maudit, mon âme n’irait pas au paradis. Mais aujourd’hui, putain, elle peut aller où elle veut, pourvu que ce soit ailleurs qu’ici.
Il s’éloigna de l’homme aux oreilles arrachées sans pouvoir s’empêcher de lui jeter un dernier regard de pitié par dessus son épaule.
« Y a quelqu’un ? » lança une voix dans la pénombre.
Elle le fit presque sursauter. Une voix humaine ! Jeune et masculine. Leon s’empressa de se diriger dans sa direction.

Un homme d’une trentaine d’années, yeux marrons derrière des lunettes à monture fine, cheveux noués en catogan, le dévisageait d’un air incrédule derrière les barreaux de la cellule qui le retenait prisonnier.
« Oh ! J’y crois pas ! S’exclama le type, l’air ravi. Un vrai humain ! Salut, l’humain. »
Le gars joua sur cette corde du « en tant que derniers vrais humains, nous devons nous entraider » pour tenter de convaincre Leon de le libérer. Il prétendit même que le chef de la police l’avait enfermé là pour empêcher qu’il ne « balance ses magouilles ». Mais Leon trancha rapidement l’herbe sous le pied de son espoir en refusant tout net sa requête. Il n’était qu’une jeune agent de police fraîchement débarqué. Il se voyait mal remettre en cause les décisions du grand chef, a fortiori dans une telle situation de crise.
Par ailleurs, Leon se demandait comment cet homme avait pu échapper à la contagion qui avait frappé tous les autres prisonniers. Il finirait sans nul doute par se transformer lui aussi. Cette seule perspective recommandait de le garder enfermé. À cette heure, ce type était de toute façon plus en sécurité dans sa cellule qu’en dehors.
Une illusion que Leon ne put conserver longtemps.
Le commissariat laissa la Mort entrer une fois de plus. Elle frappa avec la violence d’un éclair sous la forme d’un gigantesque poing ganté de noir. Dans un fracas de tonnerre, la main transperça le béton du fond de la cellule et se referma à l’endroit exact où le type avait sa tête.

Leon brandit son flingue, mais que pouvait-il faire ? S’il tirait sur la main, sa balle trouerait du même coup le visage du type qu’il essayait d’aider.
Il ne put qu’assister au massacre, apercevant à peine un œil brun implorant à travers les doigts noirs avant que le crâne qui l’abritait n’explose dans un horrible bruit de fruit fendu.
Le corps glissa le long du mur éventré jusqu’à s’avachir par terre.
Leon fixa la bouillie éclatée du crâne, mélange de cervelle, de chair et d’esquilles d’os, comme si elle exerçait sur lui une attraction hypnotique impérieuse alors que toutes les fibres de son corps se révoltaient contre la vision macabre que ses yeux lui communiquaient.
Il accusa le choc. Tout s’était passé si vite qu’il ne remarqua même pas que la main colossale s’était retirée, ne laissant qu’un trou béant au fond de la cellule.
Un bruit retentit dans le couloir sur sa gauche. Soudain arraché à sa sidération, il se retourna avec l’équilibre incertain des personnes que l’on surprend au moment où elle s’y attendent le moins. Le Wing Shooter qu’il braquait devant lui tremblait entre ses mains.
« Qui est là ? », lança-t-il, la voix moins assurée qu’il ne l’aurait voulu.
Une voix féminine lui répondit.
« ce n’est que moi, alors range ton arme. »
La silhouette élancée de l’agent du FBI qui l’avait sauvé un peu plus tôt émergea de la pénombre. Leon baissa son arme mais la garda en main, pas assez rassuré pour la remettre dans son holster. Son cœur cognait encore dans sa poitrine au rythme des trémulations de la terreur qui l’avait saisie. Une nausée diffuse lui pesait sur l’estomac.
« Je ne sais même pas ce qui s’est passé, dit-il, aussi bouleversé et désemparé qu’il en avait l’air. Tout est allé si vite, je n’ai rien pu faire. »
La femme étudia la dépouille qui gisait dans la cellule, puis lui jeta un regard critique.
« Je t’avais dit de t’en aller. À moins que tu ne veuilles finir comme Ben. »
Ben ? Leon posa la question que le prénom avait fait jaillir dans son esprit :
« C’était qui ? »
Leon ne l’interrogeait pas seulement dans l’espoir de comprendre enfin ce qui se tramait dans cette foutue ville. Parler lui était en cet instant d’une absolue nécessité pour empêcher son mental de se rompre. Devoir se concentrer sur un échange avec un autre être humain distrayait son esprit de la dernière scène d’horreur à laquelle il venait d’assister. Cela lui donnait un sujet, un objectif auxquels se raccrocher autre que le cauchemar qu’il vivait.
La femme jeta un nouveau regard au mort.
« C’était un indic. Il avait quelques informations utiles à mon enquête.
– Donc ce qu’il disait était vrai ? »
Envisager cette possibilité plongea Leon dans un état de perplexité et de malaise. Il n’était pas assez naïf pour ignorer qu’il existait des flics ripoux, mais il n’avait jamais imaginé que le chef de la police de Raccoon-City puisse être l’un d’eux. L’idée lui déclencha un frisson révulsé balayé par une vague de colère lorsqu’il vit la femme tourner les talons sans daigner lui répondre.

Son sang ne fit qu’un tour. Il lui attrapa le poignet mais elle se dégagea vivement, comme piquée par un taon.
« Eh ! Arrêtez de me laisser en plan comme ça », dit-il, excédé.
Il ne voyait toujours pas ses yeux dissimulés derrière ses lunettes noires, mais il devinait que le regard qu’elle dardait sur lui était peu amène.
« Je ne connais même pas votre nom », argua-t-il sur un ton de défense.
Elle le toisa sans rien dire. Le temps pour Leon de se repentir de son geste un peu vif. Il ajouta avec l’air gêné des gens qui se sentent obligés de combler un vide qui les gênait :
« Moi, c’est Leon Kennedy. »
Un nouveau silence accueillit cette déclaration. Celui-ci se prolongea suffisamment pour qu’il se demande si elle comptait lui répondre ou si elle allait lui refaire le coup de la super-héroïne, qui va et vient à sa guise sans se sentir le devoir de rendre des comptes. Comportement qui n’aurait pas étonné Mike Kennedy et qui lui aurait même inspiré quelques persiflages cyniques. Comme bon nombre de flics, le père de Leon supportait difficilement les fédéraux qu’il décrivait comme des loups arrogants, carriéristes et vaniteux.
« Trouve un moyen de sortir, Leon. Tant qu’il est encore temps », lâcha finalement la femme. « Ensuite on verra. »
Elle s’éloigna, le laissant une nouvelle fois planté sottement au milieu du couloir.
« Moi, c’est Ada », dit-elle juste avant de disparaître.
Leon fixa avec colère les ombres qui l’avaient engloutie. Le franc mépris qu’elle affichait envers lui, mélange de pitié et de moquerie, l’horripilait jusqu’à la lui rendre détestable. Il exécrait qu’on se paye sa tête. Le manque criant d’estime que la fédérale lui témoignait lui était aussi intolérable que si elle l’avait insulté directement. L’humilité faisait partie de ses qualités et il n’avait aucun mal à reconnaître qu’il manquait d’expérience pour gérer des évènements tels que ceux qui se déroulaient ici. Cependant, il estimait mériter tout de même un peu plus de considération.
Elle était née avec un flingue à la main, elle, peut être ? Elle avait toujours connu le monde soumis à une infestation de zombies ?
Il avait beau être un bleu fraîchement moulu de l’école de police, il ne faillirait pas à son devoir en fuyant comme un lâche. S’il pouvait aider à arrêter les responsables de cet apocalypse ou secourir des habitants qui bravaient peut être l’enfer en ce moment même, terrés chez eux ou n’importe où en ville, là où ils avaient pu trouver un abri, il le ferait sans hésiter. Il comprenait qu’Ada se refuse à lui révéler les éléments sensibles d’une enquête confidentielle, mais elle aurait au moins pu lui en dire assez pour l’aider à survivre à tout ce bordel. Voire lui donner des consignes afin qu’il puisse se rendre utile immédiatement. Sa volonté de l’écarter des évènements qui se tramaient ici le révoltait.
À quoi bon porter l’insigne si c’était pour se comporter comme le dernier des pleutres quand des citoyens Américains avaient désespérément besoin d’aide ? Il restait peut être des survivants qui avaient réchappé à la contamination qui attendaient quelque part une aide providentielle.
Sa colère contre Ada, son désir de faire ses preuves et par-dessus tout sa volonté d’aider la population redoublèrent sa détermination à se rendre utile ici et maintenant.
Pour commencer, il lui fallait récupérer la carte de parking sur le cadavre de Ben. Et pour cela, il allait devoir fouiller le commissariat à la recherche de l’endroit où ses défunts collègues entreposaient les clés des cellules.
Plus facile à dire qu’à faire. Et pourtant, il y parvint.
Environ une heure plus tard, la clé était en sa possession. Leon ne se rappelait pas avoir jamais éprouvé de plus vif soulagement que celui qu’il ressentit en s’emparant de ce moderne Graal. Il avait dû affronter d’autres infectés, y compris des chiens policiers dressés au combat, avant de pouvoir la trouver. Mais la confrontation qui l’avait le plus ébranlé avait pris la forme d’une course poursuite avec un homme colossal dont les mains gantées de noir laissaient à penser qu’il s’agissait du tueur de Ben. L’aspect parcheminé de la peau de son visage aussi bien que sa haute et puissante carrure l’empêchaient de passer pour humain.
Leon avait rapidement compris que ses ridicules armes à feu ne pourraient pas le tuer. Il avait donc écumé le commissariat en quête de la clé en prenant soin d’éviter le géant. Angoissé à l’idée que les énormes pas qui le talonnaient ne le rattrapent.
Le colosse l’avait traqué dans tout le bâtiment avant qu’il ne réussisse finalement à le semer.
Récupérer la carte de parking sur le corps de Ben intensifia son soulagement. Enfin !
Une petite bosse dans l’une des poches du cadavre attira son attention. Il la fouilla pendant qu’il récupérait la carte et eut la surprise d’y trouver un magnétophone. Il enclencha la lecture à tout hasard. Ce qu’il entendit éveilla son intérêt au plus haut point.

« Oui, oui, mais cela n’explique pas les rumeurs qui courent sur l’orphelinat. Et le fait qu’Umbrella fasse partie des bienfaiteurs ne peut pas être une simple coïncidence », disait la voix de Ben à un interlocuteur invisible.
La voix qui lui répondait était sans conteste celle d’une femme.
« Je croyais que cet entretien portait sur la nouvelle bourse d’étude mise en place par Umbrella.
– Annet, tout le monde s’en fiche de ça. Les gens veulent en savoir plus sur le virus G.
– Où avez vous appris ça ?
– La piste, d’après la rumeur, menait tout droit vers votre labo souterrain. Alors est-ce que vous allez m’en dire plus ou est-ce que vous…
– Cet entretien est terminé.
– Ahah. Connasse. »
La bande s’interrompit brusquement. Leon sursauta. Une alarme venait de se déclencher quelque part au-dessus de sa tête. Son cri strident déchirait les entrailles du commissariat. Il résonnait probablement dans tout Raccoon, porté par les hauts-parleurs de la ville.
Cette connerie allait exciter tous les zombies qui pouvaient encore traîner dans les parages ! Heureusement que ceux présents dans les cellules voisines étaient…
Un frisson glacé le secoua lorsqu’il entendit le bruit métallique des portes de prison qui s’ouvraient toutes en même temps, livrant passage aux infectés qu’elles retenaient jusqu’à présent.

Il parvint à fuir jusqu’au parking, mais le géant l’y attendait.
Ses mains gantées de noir le saisirent par la gorge. Leon suffoqua tandis qu’elles le soulevaient de terre. Il eut le réflexe de ruer pour tenter d’échapper à la poigne qui l’étranglait, mais ses jambes battirent l’air sous lui sans autre effet que le faire ressembler à un poisson qu’on vient de tirer hors de son élément et qui convulse.
Cette fois, aucune fuite possible. La Mort l’avait attrapé et ses larges mains lui comprimaient la trachée.
Il perçut à peine le vrombissement d’un moteur qui démarra quelque part dans le parking. L’oxygène fuyait ses poumons à la vitesse de l’eau s’écoulant dans un siphon. Ils seraient bientôt vides. À moins que le géant ne lui broie la gorge sans lui laisser le loisir d’asphyxier. La pression de plus en plus forte que les doigts puissants exerçaient sur sa chair l’entraînait implacablement vers cette fin.
Il eut quand même le temps d’éprouver les pires effets du manque d’air. La douleur monstrueuse qui vous transperce la poitrine et se déverse en vous comme un flot de lave en transformant vos poumons en deux poches de flammes.
Des centaines de points blancs éclatèrent devant ses yeux.
Leon se mourait. Une lumière aveuglante lui brûla la rétine.
Brusquement, elle fut sur lui.

La camionnette blindée des SWAT surgit pleins phares, tel un rhinocéros aux yeux jaunes furibonds. Les mains qui étranglaient Leon le lâchèrent tandis que le géant pivotait pour faire face à la menace.Le dos de Leon heurta le béton avec violence. Simultanément, sa bouche s’ouvrit pour aspirer tout l’air possible et jeter sur le brasier de ses poumons un torrent d’oxygène.
Il entendit le fracas d’un pare-choc télescopant quelque chose de lourd à travers le bourdonnement des acouphènes qui lui vrillaient le crâne.
Mû par le sentiment de danger, il essaya de se redresser aussi vite qu’il put malgré la faiblesse musculaire induite par la suffocation.
Le sol tangua sous ses mains. De minuscules points, comme un milliard de petites mouches noires, clignotèrent devant ses yeux.
Il jeta un regard vers son agresseur et s’aperçut que la camionnette avait encastré le géant dans le mur en parpaing.
L’une des immenses mains noires dépassait du pare brise. Elle pendait molle au bout d’un bras inerte.
Celui qui émergea du véhicule frappa Leon de stupéfaction.
Un bras enveloppé dans un trench.
« Ada… », dit Leon dans un souffle étranglé qui trahissait sa surprise et son soulagement de la revoir.
Comment s’était-elle retrouvée là au bon moment ? Avait-elle feint de partir pour le suivre et voir ce qu’il allait faire ? Ou ne devait-il son intervention qu’au hasard ?
Cela s’était joué à si peu de chose…
La jeune femme jeta à son corps secoué d’une quinte de toux un regard méprisant derrière les lunettes noires qui dissimulaient toujours ses yeux.
« Ça commence à bien faire, asséna-t-elle d’une voix coléreuse. Déjà deux fois que je te sauve la peau.
– Alors comme ça on compte les points ? » Lança Leon d’une voix narquoise.
Il se redressa et lui emboîta le pas. Mais Ada ne semblait pas d’humeur à plaisanter.
« Écoute, ce n’est pas un jeu. »
Comme pour ponctuer ses propos, la camionnette des SWAT bougea dans le mur derrière Leon. Il se retourna aussitôt et une pierre au moins aussi lourde que le parpaing qui constituait le mur lui tomba dans le ventre. Le géant revenait à lui ! Malgré le choc avec le véhicule blindé et sa rencontre avec le mur, il vivait encore.
« C’est une blague ! » s’exclama Leon en brandissant son flingue.
Ada n’avait pas l’air choqué, juste agacée par la naïveté du bleu qu’il était.
« Rien ne meurt ici, tu comprends ? »
La camionnette tressautait au rythme des efforts du géant qui la poussait en s’appliquant à se dégager.
Leon se campa un peu plus solidement sur ses jambes, prêt à ouvrir le feu sitôt que l’ennemi réapparaîtrait.
Ada lui épargna cette peine. D’une pression sur un petit boîtier noir qu’elle sortit d’il ne savait où, elle fit exploser le véhicule.
La chaleur de la déflagration lécha leurs visages comme le souffle d’un dragon. Ébahi, Leon contempla la carcasse métallique engloutie par les flammes, puis la jeune femme qui se tenait à côté de lui.
Celle-ci pivota dans sa direction sans proférer le moindre commentaire. Comme s’il ne devait aucunement s’étonner de ce qui venait de se produire.
« J’imagine que tu as la carte », dit-elle calmement.
Leon ne put s’empêcher de regarder une nouvelle fois vers les flammes, happé par les mouvements de leur danse sinistre. Le feu remontait le long du bras immense du géant, définitivement mort cette fois pour ce que Leon en discernait. Le gant qui enveloppait sa main fondait et fusionnait avec sa chair.
Leon se força à focaliser son attention sur Ada.
« Ouais, et ça, dit-il en lui balançant le magnétophone. J’espérais que tu m’en dises plus là-dessus. »

Ada attrapa l’objet au vol. Elle l’étudia d’un air interdit avant de reporter son regard sur Leon.
« Peut être. Après l’avoir écouté. Fichons le camp d’ici. »
Elle prêta l’oreille à l’enregistrement pendant qu’ils sortaient du parking et remontaient à la surface. Leon espérait que cette trouvaille l’inciterait à se confier davantage sur la nature de la mission qui l’avait conduite à Raccoon-City, mais Ada ne semblait toujours pas satisfaite. Tout ce qu’elle lui dit fut que Ben avait échoué.
« Qu’est-ce que tu cherches exactement ? » lui demanda Leon.
« Plus d’infos au sujet des gens à l’origine de tout ça. »
Il n’insista pas. Il savait qu’il n’en obtiendrait pas plus pour l’heure. De toute façon, l’extérieur était trop hostile pour se permettre de dilapider son attention sur une conversation qui accaparerait trop de ses facultés cognitives. L’éclairage public ne fonctionnait plus, plongeant la ville dans les ténèbres d’autrefois, avant l’évènement de l’électricité. Seules les enseignes de quelques boutiques, qui possédaient probablement leurs propres générateurs de secours, brillaient encore çà et là. Cette nuit noire les obligeait à une extrême prudence et compliquait leurs déplacements. Certains obstacles ne se discernaient que difficilement à la lumière de la lampe torche de Leon. Des débris jonchaient la route – des panneaux de signalisation pliés, des feux tricolores arrachés, des bouts de voitures désossées – assez haut pour dissimuler un zombie.
Comble de malchance, il pleuvait et le bruit de la pluie étouffait tous les bruits. N’importe quoi d’un peu futé ou capable d’un minimum de discrétion pouvait leur arriver dessus sans qu’ils s’en aperçoivent.
« Plus de route, annonça Ada qui marchait quelques mètres devant lui. Je crois qu’on va devoir passer par cette armurerie. »
Leon fronça les sourcils. Comment ça, plus de route ?
Il franchit les quelques mètres qui les séparaient pour constater que le tronçon de route qu’ils suivaient s’arrêtait brutalement pour s’enfoncer dans le sol. Comme s’il s’était effondré sous le poids d’une créature démesurément grande.
Ceux qui sont responsables de la présence des zombies en ville ont aussi lâché Godzilla ou quoi ? Se demanda Leon, dubitatif et de plus en plus effrayé par ce qu’il voyait.
Quel genre de monstre pouvait occasionner de tels dommages à de l’asphalte ?
Il rejoignit Ada qui crochetait la serrure de l’armurerie. La porte récompensa ses efforts par un déclic. La jeune femme n’eut plus qu’à actionner la poignée pour leur livrer passage.
L’intérieur de la boutique était dévasté. Les étagères renversées, vitrines brisées, et le comptoir détruit témoignaient de la violence qui avait dû éclater dans cet endroit au début de la pandémie. Probablement avait-il été le premier lieu vers lequel les survivants s’étaient tournés. Il avait certainement été pillé d’ailleurs. Au regard de l’absence totale de marchandises autour de lui, Leon espéra qu’aucun zombie ne sache manier la carabine ou le Smith & Wesson.
Leon évaluait les dégâts quand un solide gaillard, bien vivant celui-là, surgit des ombres dans lesquelles il se dissimulait. Il entendit le cliquètement caractéristique d’une arme qu’on charge à l’instant où le canon d’un fusil se braquait vers sa joue.
« Bouge pas. »

La voix du type, rauque et menaçante, recelait l’exaspération effrayée d’une personne à cran depuis plusieurs jours. Quelqu’un dont les nerfs soumis à rude épreuve sont susceptibles de craquer d’un instant à l’autre. Quelqu’un qu’on évite généralement de placer derrière une arme donc.
Leon mobilisa les connaissances qu’il avait acquises durant ses années à l’école de police pour gérer la situation. Premièrement, il se figea complètement afin que son interlocuteur ne puisse se méprendre sur la signification d’aucun de ses gestes. Ainsi, il ne risquait par d’assimiler un mouvement malencontreux à une tentative de contre-attaque.
Deuxièmement, Leon baissa les yeux vers le sol, adoptant une attitude calme et humble pour faire comprendre qu’il ne représentait pas une menace.
« Je ne veux pas vous faire de mal », dit-il, joignant la parole au langage corporel.
« J’ai dit bouge pas » répéta l’homme, accentuant son ordre avec une férocité qui trahissait toute la tension, toute l’angoisse qui devaient le ronger depuis des jours.
Malgré sa propre peur et le fusil qui restait braqué vers son visage, Leon ne se démonta pas. Il poursuivit avec la même voix calme.
« Je veux juste passer. Je vais vous demander de baisser cette arme. »
La réponse fusa, teintée d’un sarcasme farouche :
« Et puis quoi encore ? Tu vas te retourner et repartir gentiment d’où tu viens. »
Du coin de l’œil, Leon entrevit la chemise canadienne jaune et noire que l’inconnu portait. Mais ce n’était pas le vêtement qui avait attiré son attention. Plutôt un mouvement au-dessus de l’épaule du gaillard.
En avisant la silhouette frêle d’une petite fille en pyjama quelques pas derrière lui, Leon tourna franchement la tête, saisi par cette présence enfantine.
La fragilité de cette apparition dans ce décor de mort possédait quelque chose d’irréel. Comme si une fée émergeait d’un charnier de fusillés.
Mais ils n’étaient pas dans un conte, fût-il d’horreur, et la réalité n’épargnait personne.
Leon s’en rendit compte à l’instant où la respiration sifflante et hachée de la petite lui heurta l’ouïe. La détresse respiratoire dans laquelle se trouvait l’enfant ne faisait aucun doute.
« Je crois que votre fille a besoin d’aide », fit-il observer.
Il comprenait encore plus l’agressivité dont faisait montre l’homme. Il défendait sa gamine. Leon songea que son propre père n’aurait pas hésité un instant non plus à pointer son flingue sur la tempe d’un inconnu s’il avait craint pour la sécurité de Kate.
Sa remarque, dictée pourtant par la compassion, parut toucher une corde sensible. Le type répliqua les dents serrées, prenant soin de détacher chaque syllabe :
« Ne-me-dis-pas-ce-dont-ma-fille-a-besoin. »
Ada choisit cet instant pour se dévoiler, braquant d’abord l’homme, puis sa fille.
« Posez ça », ordonna-t-elle.
Surpris, l’homme pivota vers elle afin de la tenir en joue. Leon saisit l’ouverture ainsi créée pour dégainer sa propre arme et le braquer en retour.
Mais Ada ne s’intéressait plus à lui. Elle s’avança vers la gamine, son canon pointé vers le petit visage interrogatif et inquiet.
L’homme se dressa aussitôt entre la menace et sa fille.
« NON ! ARRÊTEZ !
– Écartez vous », intima Ada, impitoyable. « Il faut la supprimer avant qu’elle ne se transforme.
– La supprimer ? » répéta l’inconnu, la voix craquelée d’une souffrance pleine de rage. « C’est de ma fille qu’il s’agit. »
La détresse et le chagrin de ce père acculé frappèrent Leon au cœur. Il regarda la gamine mal en point et apeurée, pensa à Kate. L’image de sa jeune sœur au même âge se superposa à celle de la petite fille. Comment Ada pouvait-elle envisager de la supprimer de sang-froid ? Une enfant ! Même si son teint terreux et son regard terne trahissaient une contamination à un stade avancé, Leon ne pouvait se résoudre à l’exécuter.
Il ne pouvait supporter l’idée de séparer cet homme de sa petite fille. Même s’il ne leur restait plus que quelques heures devant eux. Même si la gamine était vouée à rejoindre les spectres de Raccoon-City et qu’elle se retournerait contre son père dès que le processus à l’œuvre dans son organisme parviendrait à son terme.
Il ne pouvait approuver la sentence qu’Ada voulait appliquer séance tenante.
Il ne pouvait accepter de se rendre complice de ce meurtre.
Il était flic. Pas shérif.
Il avait pris l’insigne pour servir son pays. Pour sauver des vies.
Pas pour en prendre.
Pas comme ça.
Il baissa son arme et eut un geste d’apaisement en direction de sa collègue.
« Ada… Laisse-les tranquilles. »
D’abord, la jeune femme ne cilla pas. Pendant ces secondes interminables, Leon redouta qu’elle ne tire brusquement. Il fut soulagé de la voir finalement pointer son canon en direction du sol, même si elle gardait les deux mains sur l’arme.
« Emma, ma puce, je t’ai dit de rester au lit », dit l’homme qui reculait doucement vers sa fille en continuant à leur faire face.
« Pa…pa… »
L’appel implorant de l’enfant eut raison de sa prudence. Il tourna le dos à Leon et Ada pour s’accroupir près d’elle.
« Oui, c’est papa, je suis là. »
Le cœur perclus de douleur pour ce père et sa fille, Leon regarda le premier prendre la seconde dans ses bras et la serrer contre lui sans un mot. Comme s’il avait voulu fondre leurs deux peaux, rendre la chair jeune et fragile à la sienne. Absorber son essence pour mieux la protéger. Comme si c’était le dernier câlin partagé. La dernière étreinte avant la fin du monde.
De leur monde.
L’homme parut entendre ses pensées.
« Ces saloperies dehors… », commença-t-il, la voix vibrante d’une affliction insondable. « Regardez ce qu’ils nous ont fait. »
Il redressa la tête et son regard captura celui de Leon.

« T’es un flic. Tu sais sûrement quelque chose… Alors comment c’est arrivé, hein ?! »
Sa phrase s’acheva dans un hurlement de rage qui remua Leon jusqu’au fond des tripes et forma dans sa gorge une boule suffocante de souffrance.
Il aurait aimé pouvoir dire quelque chose. N’importe quoi susceptible d’apaiser la douleur, le désespoir qui déchiraient ce père.
Mais la vérité, c’était qu’il n’en savait pas plus que lui sur ce qui se passait à Raccoon-City. Il ne savait rien. Ni pourquoi tous ses habitants devenaient les uns après les autres des zombies assoiffés de chair, ni pourquoi un monstre de plus de deux mètres de haut hantait le commissariat de leur ville.
Il était incapable de lui expliquer l’origine et la nature du mal qui avait probablement emporté sa femme et qui tuait leur fille sous leurs yeux en ce moment même.
Incapable de lui dire pourquoi sa vie entière se dissolvait en lambeaux qui s’échappaient avec les cendres de l’incendie charriées par le vent qui diffusait une infâme odeur de charnier dans toutes les rues.
Et cela lui broyait le cœur comme si ce drame était le sien. Comme s’il était ce père démuni face à sa gamine mourante.
Il regarda Ada, cherchant du secours de son côté, mais la jeune femme demeurait silencieuse, interdite. Comme si rien de tout ce qui se passait ne l’atteignait.
Leon imaginait son père avec Kate dans la même situation. Il s’imaginait lui-même face à Kate en plein processus de transformation. Comment supporter une telle abjection ? Comment accepter qu’un être que vous aimez prenne peu à peu la couleur et l’odeur des cadavres ? Qu’il perde ses facultés de raisonnement, sa capacité à parler, à s’émouvoir, tout ce qui fait son humanité, mais qu’il continue à arpenter la surface du monde ?
Leon le savait : jamais il n’aurait pu se résoudre à tuer Kate si ça avait été lui à la place de ce père torturé. Il l’aurait vu pourrir sur place. Se métamorphoser en monstre mangeur de chair digne d’un cauchemar. S’en prendre à d’autres gens, peut-être même à lui.
Mais jamais il n’aurait pu décider de l’achever. Parce que l’espoir était plus résistant que n’importe quelle créature vivante. Il mourait toujours en dernier.
Le père accablé le fixait toujours. Derrière le voile trouble de sa douleur, Leon discerna quelque chose d’autre. Une lucidité cuisante.

Il sut qu’ils se comprenaient. Qu’une connexion profonde s’était établie entre leurs deux sensibilités. Que l’homme devinait exactement ce qu’il se disait. Qu’il sentait que Leon compatissait de toute son âme au malheur qui le frappait et qu’il était affligé de ne rien pouvoir faire pour lui venir en aide.
L’homme ajouta d’un ton étranglé par un sanglot contenu :
« C’était notre petit ange.
– Ma…man… », réclama la petite.
La cataracte caractéristique des sujets touchés par l’infection avait presque totalement blanchi ses yeux. Sa posture très statique trahissait une raideur musculaire qui, supposa Leon, devait précéder le dysfonctionnement total des noyaux gris centraux dans l’incubation de la maladie. Le mal qui touchait les personnes contaminées occasionnait sans doute des lésions importantes à ces aires du cerveau impliquées dans le contrôle des mouvements moteurs, ce qui conférait aux zombies leur démarche chaotique et leurs étranges gestes désordonnés. Comme s’ils n’étaient que des pantins contrôlés par de malhabiles marionnettistes.
Le cœur débordant de peine, Leon observa l’homme à genoux devant l’enfant l’attraper délicatement par les deux bras pour lui parler en s’assurant d’avoir toute son attention.
Il ne témoignait nulle peur, nul dégoût face à son teint cadavéreux et son regard presque aveugle. C’était sa fille. Et la créature qu’elle s’apprêtait à devenir serait encore sa fille. Même si elle essayerait peut-être de lui fracasser le crâne pour lui dévorer le cerveau.
« Maman fait dodo ma puce. Et je vais bientôt te mettre au lit aussi. D’accord ? Emma… »
Emma. Pour Leon, ce prénom resterait à jamais marqué par le sceau de l’horreur qui avait ravagé Raccoon-City cette nuit-là.
Ses yeux demeurèrent secs, pourtant la boule dans sa gorge menaça d’éclater lorsque le père souleva la gamine dans ses bras. Ce dernier fit quelques pas en direction de la porte dans le fond de l’armurerie puis, comme s’il craignait qu’ils ne s’interposent, se tourna vers eux une dernière fois.
« Partez. Laissez nous un peu seuls. »
Des larmes glissaient sur les rides sous ses yeux et dévalaient son visage altéré par la douleur.
Le cœur de Leon éclata dans le silence qui suivit leur départ. Enveloppé par l’énergie d’une froide colère accusatrice, il se tourna vers Ada.

« Écoute, me cacher la vérité c’est une chose… (Il pointa du doigt la porte qui venait de se refermer sur le père éploré). Mais pourquoi à lui ? »
Un autre silence accueillit sa question. Ada ne lui accordait pas un regard. Son attention demeurait attachée à l’endroit où père et fille avaient disparu.
La détonation d’un coup de feu en provenance de derrière la porte troua les ténèbres, puis le silence s’installa à nouveau. Lourd, absolu, glaçant.
Leon s’était raidi, confondu d’effroi, de colère, d’impuissance. L’idée de ce qu’ils trouveraient à présent s’ils franchissaient la structure l’emplissait d’un sentiment d’injustice qui lui retournait l’estomac. Dans quel monde un humain normalement constitué pouvait-il supporter qu’un père doive supprimer sa propre fille pour lui épargner de devenir un monstre ? Dans quel univers dantesque un policier devait-il accepter de voir ses concitoyens souffrir sans pouvoir leur prêter secours ?
Derechef, Leon se tourna vers Ada, bien décidé à en obtenir une réaction :
« Je veux savoir ce qui se passe ici, et j’arrêterai les coupables. (Il montra à nouveau la porte, poursuivit : ) Aider des gens comme eux, voilà pourquoi je me suis engagé. »
Ada le dévisagea longuement, gravement. Puis elle s’avança de sorte à se placer bien en face de lui avant de dire :
« Ma mission est de mettre un terme aux opérations d’Umbrella. Pas sûr qu’on s’en sorte. »
Cette fois, ce fut à Leon de marquer un silence. Il s’attendait à devoir batailler plus que ça avec elle pour en obtenir quelque chose. Et voilà qu’elle lui donnait en une phrase plus d’informations qu’elle ne lui en avait donné en trois heures.
« Je suis prêt à tout pour sauver cette ville », déclara-t-il, solennel. « Compte sur moi. »
Ada opina. Ils jetèrent un dernier regard vers la porte puis traversèrent l’armurerie comme ils en avaient eu l’intention depuis qu’ils y étaient entrés.

Merci pour votre lecture ♥ Nous approchons peu à peu de la fin de l’épisode de Raccoon City et je pourrais enfin vous révéler plus de choses sur les liens entre Leon et certains tueurs de Dead by Daylight que nous avons inventés avec ma communauté YouTube et Twitch. Vous allez voir, notre lore ne manque pas de couleurs, mais aussi de touches sombres voire carrément glauques !
Vous pouvez me retrouver ainsi que ladite communauté sur discord si vous avez 15 ans ou plus.
@ bientôt quelque part !
Chris
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