Crédit photo de couverture : taxi-anglais-review.over-blog
6 février 2025.
6 février 2024.
14 février 2024.
Que ce mois de février, ces dates anniversaires, résonnent tristement.
Un an déjà que je n’entends plus ton rire.
Que je n’ai plus la chance d’entendre tes blagues et tes traits d’esprit dont la finesse témoignait de ton intelligence extravagante. De ta sensibilité si belle.
Un an déjà que j’ai perdu le cœur refuge dans l’écrin duquel mon âme aimait s’abriter quand le monde la malmenait.
Un an sans ta présence chaleureuse, ton sourire d’éternel plaisantin. Sans ton extraordinaire bienveillance.
C’est court et long à la fois, un an.
Ton souvenir m’est si vif que j’ai l’impression de t’avoir vu hier.
Quand je ferme les yeux, les traits de ton visage m’apparaissent nettement. Les échos de ta voix me parviennent à travers le mur impalpable, nébuleux, qui sépare le monde d’hier et celui d’aujourd’hui. L’univers des vivants et celui des morts.
J’ai malheureusement oublié rapidement la voix de beaucoup de mes proches disparus, mais la tienne résiste. Ta voix si douce et si tranquille, mais qui savait se durcir et s’insurger pour les bonnes causes, restera toujours pour moi synonyme de réconfort et de bonté. Même si la poussière des décennies finira peut-être par en estomper la tessiture, le timbre et l’articulation.
Il en restera toujours quelque chose, comme je me plais à croire qu’il restera toujours quelque chose de toi qu’importe où je serais sur cette planète.

Les êtres que nous aimons laissent en nous une marque indélébile.
L’amour, peu importe la forme qu’il prend – celle d’une amitié, d’un amant, d’un lien de sang – laisse toujours une empreinte inaltérable. Permanente.
Combien de fois pendant l’année écoulée suis-je passé dans les endroits que nous avions l’habitude de fréquenter ensemble ? Il y flotte encore les fantômes de nos conversations et une odeur pénétrante de nostalgie.
Je nous revois exactement aux places que nous occupions. Les mots que nous échangions reviennent aux oreilles de ma mémoire comme si j’étais un voyageur du temps coincé entre deux âges.
La nostalgie tendre et cruelle qui me caresse et m’inonde à ces souvenirs m’est à la fois agréable et douloureuse. Elle me rappelle la chance inouïe que j’ai eue d’avoir un ami tel que toi. Mais elle me rappelle aussi que je l’ai perdu de la façon la plus définitive qui soit.
Alors, la nostalgie prend la teinte anthracite des regrets.
Ton départ m’a rendu encore plus conscient d’une chose : on ne profite jamais assez des gens qu’on aime.
La vie est trop courte. Le temps trop fugitif. La fin toujours trop brutale.
Celui qui vient à disparaître, pourquoi l’a t-on quitté des yeux ?
On fait un signe à la fenêtre sans savoir que c’est un adieu.
Ces mots de Jean Ferrat ne quittent plus mon esprit depuis que je les ai entendus pour la première fois.
On a beau être très conscient de la finitude de nos vies mortelles, la perte d’un proche n’en reste pas moins une réalité difficile à concevoir et encore plus à assimiler.
Vivre dans la conscience qu’absolument rien n’est éternel, que tout est voué à mourir ou disparaître un jour – les monuments, les peuples, les civilisations, les relations, les êtres et les objets que l’on aime, nous-même – ne nous rend pas forcément mieux armé face au deuil. Chacun traverse cette épreuve de son mieux, comme il peut.
Pour ma part, c’est encore vers le stoïcisme et mes chers Marc-Aurèle, Cicéron et Sénèque que je me tourne pour surmonter ma peine. Le premier a exprimé mieux que je ne saurais le faire la désolante réalité de toute existence humaine :
Le temps de la vie de l’homme, un instant ; sa substance fluente ; ses sensations, indistinctes ; l’assemblage de tout son corps, une facile décomposition ; son âme, un tourbillon ; son destin, difficilement conjecturable ; sa renommée, une vague opinion. Pour le dire en un mot, tout ce qui est de son corps est eau courante ; tout ce qui est de son âme, songe et fumée. Sa vie est une guerre, un séjour sur une terre étrangère ; sa renommée posthume, un oubli.
Ayant conscience de la fin inéluctable de toute vie, ce serait folie que de se laisser sombrer dans le chagrin en déniant une réalité qui de toute façon s’impose à nous par la force.
Personne ne peut empêcher ce qui est d’être.
Personne ne peut non plus faire revenir (ce) qui n’est plus.
Je le sais et je l’accepte.
Pourtant tu vois, il m’arrive toujours, alors que je vaque à mes occupations dans la maison, de te revoir assis à ma table, à ta place attitrée, ou dans le canapé où tu avais aussi ta place préférée. Alors, le manque de toi, de ta présence, de nos conversations, m’envahit avec une telle force qu’il m’arrête dans toutes mes activités et je ne suis plus capable que de deux choses : penser à toi et aspirer à te revoir.
Dans ces moments de recueillement solitaire, je partage l’état d’esprit de Stromae dans sa chanson Mauvaise journée :
Hmm, aidez moi
Hmm, j’me sens si seul
Hmm, laissez moi
C’est mon droit d’être déprimé dans mon fauteuil
Y a l’espoir d’une lueur
Que demain sera meilleur mais
J’en ai marre d’être déprimé
Et ça m’déprime d’en avoir marre
Mais à quoi bon me réveiller ?
J’préfère dormir toute la journée si c’est pour vivre ce cauchemar
Il y a tant de choses dont j’aurais aimé te parler. De sujets intimes, mais surtout de l’inquiétant état du monde. De la propagation générale de la haine qui frappe avec la virulence d’une épidémie à une époque où l’esprit des êtres humains, éclairé par la Science et la Connaissance, devrait prôner l’empathie, la compassion et l’amour pour le Vivant sous toutes ses formes.
Quelque chose me dit que tu n’aurais pas aimé cette année 2024. Et j’ai peur que 2025 se révèle du même cru.
Peut être, si tu continues à suivre l’actualité terrestre depuis là où tu es, te dis-tu que tu es parti « au bon moment ». J’avoue l’avoir déjà pensé.
Tant des événements de ces derniers mois t’auraient révolté.
Je me sens bien seul maintenant pour affronter la bêtise haineuse de nos semblables.
Pourquoi le monde ne peut-il pas être rempli de Danny ? Ton corps avait peut être 66 ans, mais tu avais la sagesse millénaire d’un philosophe antique et une curiosité adolescente pour tout ce qui t’entourait. Tu t’intéressais à tellement de choses, l’on pouvait te parler de tellement de sujets.
Las, ils sont trop peu nombreux, les gens capables de faire preuve du même niveau de réflexion et de largeur d’esprit que toi.
Aujourd’hui encore, il m’est toujours difficile de songer à ta maison à seulement 8 kilomètres de la mienne où tout est presque comme tu l’as laissé. Comme si tu t’étais simplement absenté pour quelques jours, parti dans l’une de tes folles expéditions pour ramener un nouveau taxi.
Là-bas, le temps semble figé.
C’est drôle comme il m’est compliqué de concevoir que ton chez toi est toujours là, palpable, physique. Le lit toujours recouvert des draps dans lesquels tu t’es couché pour la dernière fois. Le marque-page du livre posé sur ta table de chevet toujours inséré là où tu as arrêté ta lecture le matin même de ton accident.
Sans doute ai-je du mal à admettre que les traces de ton passage sur Terre puissent te survivre alors que toi, tu n’es plus. Comme si ta maison devrait avoir disparu avec toi. Comme si mon cerveau refusait d’accepter qu’elle puisse continuer à exister sans son légitime propriétaire.
Linden House n’est plus la même privée de l’homme qui lui insufflait son âme. Et pourtant, ton âme habite encore le moindre de ses recoins. De ta légion de taxis anglais endormis dans la cour à la « pièce orange », dédiée à tes chères seventies, jusqu’à ta collection de créations signées Quasar Khanh.
Inconsciemment, je crois que le chagrin me rend Linden House de moins en moins réelle. Il l’érige petit à petit en lieu de légende sublimé par les rêveries nostalgiques d’un cœur endeuillé. Un peu comme ces lieux sacrés mystérieux auxquels seule une poignée d’élus peut accéder dans les contes avant que le personnage qui leur en a donné la clé ne disparaisse comme il était apparu. Ton départ me donne l’impression qu’elle m’est devenue aussi lointaine que toi désormais.
D’une certaine façon, c’est un peu vrai. Linden House est toujours là, mais elle n’est plus la même. Elle ne le sera plus jamais. Ce n’est plus LA Linden House. Celle que j’ai connue fait désormais partie d’une époque révolue pour toujours. Je ne t’y verrais plus jamais travailler à ton bureau ou me servir le café dans ta cuisine.
Elle n’est maintenant plus qu’une succession de pièces vides dans lesquelles flotte ton souvenir.
Parfois, je le reconnais, il me tarde d’aller te retrouver.
J’en ai pourtant fini depuis longtemps avec les idées noires dans lesquelles tu m’as connu et qui nous ont rapprochés. Mais j’éprouve un tel manque de toi que plus que jamais, je veux croire en un Après. Un Au-Delà dans lequel je pourrais vous revoir, toi et tous mes autres chers disparus. Vous serrer à nouveau dans mes bras et pouvoir parler « de tout, de rien » ensemble, comme tu aimais tant à le dire.
La mort d’un être cher laisse en nous un vide immense que rien ni personne ne peut combler. Le temps qui passe nous permet juste d’apprivoiser la souffrance qui l’accompagne avec plus ou moins de succès.
J’écoute toujours La Fièvre de Julien Doré avec autant d’émotions que le jour de tes obsèques où je l’ai découverte. Même si ce morceau me remplit parfois d’une grande tristesse, j’adore l’entendre. Je te retrouve dans la voix douce de Julien Doré, dans la sonorité sensible de ses mélodies et la finesse ingénieuse de ses textes. Les musiques de cet artiste que tu m’as fait découvrir et que tu m’as appris à apprécier m’enveloppent de ton souvenir. Elles m’évoquent ton amitié et durant quelques minutes, raniment le feu chaleureux et tendre de ton cœur dans ma poitrine.
Il en va de même pour les musiques d’Hubert-Félix Thiéfaine, des Goguettes, de Juliette Armanet et tant d’autres…
Je chéris cet héritage musical et spirituel que tu me laisses, et même si la fatigue et la peine menacent parfois de m’écraser, je tiens bon et je me rappelle de ces mots de Julien Doré :
On ne peut pas changer les ombres,
On peut juste les éclairer.
Pour toi, je décide d’éclairer les ombres afin de pouvoir me frayer un chemin parmi elles.
Elles ne doivent pas m’empêcher d’avancer.
Elles ne m’empêcheront pas d’avancer.
Je trouve ça dingue à quel point, même dans la mort, tu puisses encore m’être d’un tel soutien, d’un tel réconfort.
Je souhaite à toutes les personnes en ce monde d’avoir un jour un ami comme tu l’as été pour moi.
Une bonne âme prête à accourir de l’autre bout de la France pour vous prêter main forte au moindre appel au secours.
Une main bienveillante prête à vous rattraper sitôt qu’elle vous sent vaciller.
Une épaule solide prête à essuyer vos pleurs toute la nuit s’il le faut.
Un esprit soucieux de vous voir heureux, appliqué à vous faire rire même au cœur du pire des orages.
Et surtout, un cœur humble prêt à vous accueillir comme vous êtes. Peu importe qui vous avez été, qui vous êtes et ce que vous avez fait de bien ou de mal.
Le monde et les gens seraient bien moins tristes si chacun avait son Danny.
Alors, forcément, ce jour plus encore que tous les autres, je ne pouvais pas ne pas penser à toi. Je ne pouvais pas ne pas t’écrire, Danny.
À propos, j’ai enfin pu modifier mon état civil et je suis heureux d’y voir figurer ton prénom. Je te devais bien ça.
Tu n’es pas mon père, tu n’as jamais eu la prétention de le remplacer, mais tu as été bien plus présent et soutenant que lui à des moments où j’en avais besoin. Je ne te remercierai jamais assez pour ça. Pour tout. Pour avoir été mon ami.
J’aimerais tant pouvoir te parler et que tu me répondes encore.
Chaque fois que j’écoute Doré, Thiéfaine, Les Goguettes et tous ces artistes que tu m’as fait découvrir, ou quand j’entends un nouveau morceau qui aurait pu te plaire, je ferme les yeux et je pense à toi. J’espère de tout cœur que là-haut, quelque part dans l’infinité du cosmos, tu peux savourer la musique avec moi.
Je t’embrasse.
@ bientôt quelque part, Danny.
Chris, loyal pour toujours
PS : j’espère que tu dînes régulièrement à la table de Quasar Khanh là-haut !


Très beau texte qui m’émeut pour quelqu’un que je ne connais pas et dont j’ai suivi discrètement la disparition l’an dernier et l’impact que cela avait eu pour toi.
Discrètement, peut-être parce que je ne voulais pas m’imposer dans cette douleur et que je ne trouvais pas les mots pour cette personne que tu estimais et que d’autres en commentaires semblaient connaître.
Mais aujourd’hui en lisant cet article, je me suis dit que j’allais te laisser quelques mots de réconfort en tâchant de ne pas être trop banal…
Ce sont des moments durs à passer, qui le sont d’autant plus en pensant à ce monde triste dans lequel nous vivons. J’espère que tu trouveras du courage, du bonheur à ton échelle, autour de toi, avec des gens qui t’acceptent et seront là pour toi. C’est souvent cela le plus important, ce que l’on peut changer autour de soi pour que le mental reste là et penser à la manière dont il aurait voulu que tu vives ta vie.
Bises du Québec
Bien cordialement,
Aurélio TOTI
+1 (438) 506-6588
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Merci beaucoup Aurelio pour avoir pris le temps de lire ma peine et de me laisser ces mots pleins d’humanité. Ton commentaire me touche beaucoup.
J’espère que tout va bien pour toi et pour les êtres que tu aimes.
Belle vie à toi ♥
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