Le Procès Malefoy, chapitre 9 : Hantise et strangulation [fanfiction Harry Potter]

Rappel des liens des chapitres précédents :

Chapitre 1 : La Déchéance des Malefoy
Chapitre 2 : Le Nouvel Ordre
Chapitre 3 : Le Besoin d’un père
Chapitre 4 : Quelques Mots de réconfort
Chapitre 5 : La Morsure des Ténèbres
Chapitre 6 : Le Procès de Drago
Chapitre 7 : L’Apogée de la Terreur
Chapitre 8 : Psychomage et thérapie ?

Temps de lecture estimé : 28 minutes

– Chapitre 9 –

Hantise et strangulation

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La veille du procès, aucun des trois Malefoy ne put avaler la moindre nourriture au moment du dîner. Aucun d’eux ne se sentit capable de décocher le plus petit mot non plus. Lucius craignait de trahir l’angoisse qui lui comprimait les entrailles et lui serrait les dents s’il essayait de parler, et il supposait qu’il en allait de même pour Drago et Narcissa. La menace du procès qui se profilait pesait au-dessus de leurs têtes comme un ciel bas d’orage. L’arrêt d’une date d’ouverture rendait le danger encore plus concret, plus angoissant. Même si Lucius doutait que Narcissa puisse être condamnée au Baiser du Détraqueur quand elle avait sauvé Harry Potter en laissant le Seigneur des Ténèbres croire à sa mort la nuit de la bataille de Poudlard, le risque persistait. Elle était l’épouse d’un Mangemort, d’un criminel et d’un traître, l’épouse de Lucius Malefoy. L’accusation pourrait réclamer la peine maximale à son encontre en sa qualité de complice des scélératesses de son mari. Mais plus encore que les adversaires que Jack et Narcissa devraient affronter au tribunal, Lucius craignait les réactions de la foule.

Comme Drago, Narcissa partirait sous escorte policière, mais il savait d’expérience combien il s’avérait difficile de maîtriser une meute assoiffée de sang. Il avait commandé aux pires tueurs du Royaume-Uni en tant que bras droit du Seigneur des Ténèbres, y compris à Fenrir Greyback et à ses loups, et il était trop intelligent pour croire que le monde se divisait entre les méchants et les bons, les Mangemorts et les autres. N’importe quelle personne pouvait se transformer en meurtrière, poussée par les circonstances d’une situation, par ses émotions ou son instinct. La guerre avait éprouvé les cœurs ; de nombreuses personnes avaient perdu des êtres chers, des parents, des amis. Les deuils à répétition et le chaos avaient pu égarer les esprits et inspirer même aux âmes les plus pacifiques des velléités de vengeance. Si la foule ne se jetait pas sur Narcissa pour la lapider elle-même, elle confierait ce soin à des bourreaux qui appliqueraient la sentence pour elle à travers une décision des détenteurs du pouvoir judiciaire.

Si Narcissa devait subir le Baiser du détraqueur, Lucius ne le supporterait pas. Lui-même deviendrait fou avant l’heure. Il ne supporterait pas de savoir que le corps de sa femme continuerait à exister quelque part, mais qu’elle ne se trouvait plus à l’intérieur, que son esprit, tout ce qui fondait son identité, avait déserté son enveloppe de chair pour toujours. Pour l’entourage de la personne condamnée, la cruauté du châtiment du Baiser du Détraqueur se révélait bien pire que la mort. La personne demeurait vivante, vous pouviez toujours la toucher, la voir, sentir son odeur, mais elle n’était plus vraiment là. Vous pouviez toujours lui parler, mais elle ne vous répondait plus, ne vous entendait plus. Mieux valait encore une tombe qui vous séparait physiquement de l’être aimé et rendait son départ concret que cette présence troublante comme une maison hantée.

Si Narcissa était condamnée à la sentence suprême, Lucius n’aurait certes jamais à subir le spectacle du visage éteint de son épouse, de sa bouche inexpressive, de ses yeux bleus figés sur le néant, car il était certain de connaître le même sort, mais il s’inquiétait pour Drago. Que ferait leur fils si ses deux parents finissaient leurs jours à Saint-Mangouste, aussi inutiles et dépendants que des plants de ravegourde ? Quel fardeau pour lui, qui aurait déjà tout à rebâtir, de la respectabilité de la Maison Malefoy à sa propre vie, que la survivance des enveloppes charnelles de ces deux géniteurs criminels. Cette situation ne rendrait son deuil que plus difficile et le relierait pour toujours aux sinistres événements de la Seconde Guerre des sorciers.

Le soir, entre les quatre murs de leur chambre et loin des oreilles de leur fils, la langue de Narcissa se délia. Évidemment, elle partageait les mêmes inquiétudes que Lucius et celui-ci ne fut pas surpris de l’entendre dire qu’elle s’en faisait bien plus pour Drago que pour elle-même.

« Lucius, commença-t-elle d’une voix affectée alors qu’ils venaient tout juste de se coucher l’un contre l’autre dans le noir, promets-moi que tu ne m’en voudras pas. Quels que soient les propos que je pourrais tenir à la barre du tribunal, promets-moi que tu ne me tiendras rancœur de rien. Promets-moi que si tu devais éprouver un sentiment de trahison parce que ma bouche proférerait des paroles contraires à tous les principes auxquels nous avons toujours cru toi et moi, tu garderas à l’esprit que je le fais uniquement pour assurer ma défense et tu l’étoufferas. Je n’oublie pas les valeurs qui ont réuni la Maison Black et la Maison Malefoy à travers notre mariage, mais…

Lucius l’interrompit, la voix douce et ferme :

– Fais ce que tu dois faire. Ton salut est la seule chose qui importe.

– Nous n’avons pas le droit de laisser Drago affronter l’avenir seul, insista Narcissa, la voix étranglée d’angoisse.

– Tu feras ce qui doit être fait pour vous deux.

– Et toi ?

– Moi aussi, je ferai ce qu’il faut.

– Pour nous ou pour l’honneur de tes ancêtres ?

– Pour vous », répondit-il avec sincérité.

Il avait enfin tranché, résolu son dilemme. Sa famille de chair et de sang était bien plus importante que l’honneur d’une Maison déjà anéantie. Il restait cependant pessimiste sur l’issue de son propre procès. Ses chances d’acquittement étaient plus minces qu’un cheveu de vélane. Il misait davantage sur la présence de Narcissa que sur la sienne pour soutenir Drago dans les épreuves des prochains mois et années, mais il s’interdisait bien sûr d’exprimer cette quasi-certitude à voix haute pour les ménager.

Pour l’heure, Narcissa semblait bouleversée par la réponse qu’elle avait obtenue à sa question. Lucius sentait son émotion à travers leurs deux peaux serrées l’une contre l’autre. Elle se pressait contre lui comme si elle avait voulu fusionner leurs corps, ses seins écrasés contre son torse. Durant un instant fugace qui lui donna ensuite l’impression d’être stupide, Lucius se demanda si elle souhaitait qu’il lui fasse l’amour comme les amants qui se savaient au bord des adieux avaient coutume de le faire dans les histoires tragiques, partageant un dernier coït passionné pour imprégner dans leur chair le parfum de l’autre avant que la mort ne se referme sur eux.

Lucius adorait s’immerger dans l’odeur de Narcissa, il aurait aimé qu’elle s’accroche sur sa peau pour toujours, mais il aurait préféré parvenir à ce résultat par des moyens magiques. Ce soir plus encore que tous les autres qu’ils avaient passé blottis ensemble dans ce lit, il ne possédait ni l’envie ni l’énergie de se livrer à l’acte charnel. Lucius n’avait jamais nourri d’intérêt pour les choses du sexe qu’il jugeait ennuyeuses et indignes de l’homme désireux d’élever sa conscience, et il lui semblait qu’il en allait de même pour son épouse. En tout cas, si l’appétit de Narcissa pour cette nourriture terrestre dépassait le sien, elle ne s’était jamais plaint de son manque d’initiatives dans le domaine.

D’ailleurs, elle le rassura vite sur ses intentions : le long baiser qu’elle lui donna ne possédait rien de sexuel, ne trahissait nul désir. C’était le témoignage d’un amour sincère et enraciné dans le temps, un baiser d’âme à âme qui réchauffa le cœur de Lucius. L’espace de quelques minutes, son esprit connut un sentiment de paix oublié depuis le début de leur confinement. Sa main chercha celle de Narcissa sous les draps. Ses doigts se refermèrent sur les siens, et le courant d’énergie que Lucius sentit passer entre eux détendit ses muscles contractés par des semaines de tension nerveuse et de nuits agitées.

Ah ! Si tous ces biens-pensants qui se croyaient dans le camp des gentils pouvaient s’incarner dans sa chair en cet instant, ils comprendraient qu’ils ne détenaient pas le monopole du cœur.

Ni Lucius ni Narcissa, dont la tête reposait sur son pectoral gauche, ne ferma l’œil de la nuit. Peut-être moins à cause de l’angoisse qui reprenait ses droits au fil des heures et se diffusait dans leurs membres comme un lent poison que par une tacite volonté commune de profiter de la chaleur et de la compagnie de l’autre, même muette, peut-être une dernière nuit.

S’il devait t’arriver quelque chose, Narcissa, je veux que tu saches que j’ai été heureux de partager ta vie. Drago et toi êtes les plus belles choses qui me soient arrivées. Je reprendrais cette vie de zéro, même s’il fallait aboutir aux mêmes déplorables résultats, juste pour éprouver à nouveau le bonheur de vous connaître.

Les mots ne parvenaient pas à franchir ses lèvres, mais Lucius savait que Narcissa les entendait dans les battements de son cœur.

***

Le lendemain matin, derrière la fenêtre du salon d’où il observait le soleil se coucher tous les soirs, Lucius regarda son épouse quitter le manoir encadrée par quatre Aurors.

Drago les accompagnait.

Lucius et son fils avaient fait remarquer que cet effectif de quatre Aurors semblait peu pour assurer la sécurité d’une inculpée du calibre de Narcissa Malefoy. La mine chagrine et les poches sous les yeux d’Edmund Jack confortaient leur crainte, mais le Ministère n’avait pas souhaité affecter davantage d’agents à la protection rapprochée de Narcissa, il fallait donc se plier. À croire qu’ils cherchaient à la faire tuer. Si la tension nerveuse, l’épuisement et la conscience de son impuissance ne l’avaient vidé depuis bien longtemps de ses forces, Lucius se serait emporté contre les Aurors.

L’idée qu’il voyait peut-être Narcissa pour la dernière fois alors qu’il la regardait s’éloigner dans la grande allée bordée d’ifs constituait déjà une angoisse terrible, viscérale. Lucius revivait les émotions du petit garçon qui venait de perdre sa mère qu’il avait été autrefois. Assister au départ de Narcissa lui rappelait l’enterrement d’Eleonore Malefoy. Il se sentait aussi démuni et impuissant que ce funeste jour. Orphelin. À présent que leurs ennemis menaçaient de la lui ravir, Lucius se rendait compte du rôle crucial de son épouse dans la survie de leur famille jusqu’à ce jour. Narcissa avait endossé le rôle de capitaine de navire pour Drago lorsqu’il avait été incarcéré à Azkaban, puis lorsque tous les Mangemorts prisonniers avaient été libérés par le Seigneur des Ténèbres, elle s’était dressée en rempart entre Drago et le monde tandis que Lucius en disgrâce sombrait lentement dans la déchéance.

Il avait cru incarner le gardien de leur foyer, mais à présent il se rendait compte que c’était Narcissa l’héroïne. C’était elle qui avait porté leur famille à bout de bras, elle dont la main protectrice s’était déployée comme l’aile d’une dragonne au dessus de son époux et de son fils.

Le procès de Narcissa devait durer trois jours. Lucius ne supporterait pas que Jack et Drago reviennent à la fin du troisième jour et lui annoncent que le Magenmagot avait condamnée la seule femme pour laquelle son cœur avait jamais battu.

Les Détraqueurs ne constituaient toutefois pas la seule menace capable de lui enlever son épouse. Lucius se méfiait des réactions de l’audience qui assisterait au procès. Ses premiers cauchemars récurrents avant que ceux avec Abraxas Malefoy ne s’y substituent, ceux où une foule vociférante le lynchait, demeuraient vifs à sa mémoire. Il s’efforçait de refouler leur souvenir lorsqu’il y pensait, mais il n’y parvenait pas en cet instant où il savait Narcissa sur le point de faire face aux familles des nombreuses victimes de son mari et de celles de Voldemort.

Lucius avait d’abord été convaincu que son statut de mère qui avait œuvré pour la survie de son fils unique protégerait Narcissa, mais les jours passants, il avait commencé à entrevoir une possibilité plus effrayante. La population pourrait réclamer le sang de Narcissa avec autant d’ardeur qu’elle réclamait le sien à cause de leur lien conjugal. Chez les sorciers, la formule consacrée du mariage, « pour le meilleur et pour le pire », recouvrait une profondeur particulière… Lucius espérait que les membres du Magenmagot ne laisseraient pas la pression populaire altérer leur raison. Narcissa avait si peu de choses à se reprocher comparativement à lui… Il refusait qu’elle paye le prix fort de ses propres erreurs.

Elle n’était partie que depuis deux heures, et il lui semblait déjà qu’il ne l’avait pas vue depuis des mois. Les Aurors restés au manoir pour assurer sa surveillance étaient déjà passés le voir quatre fois dans l’intervalle tandis qu’il arpentait le salon comme un nundu en cage. Même s’ils s’abstenaient d’émettre le moindre commentaire, leur présence agaçait Lucius. Toutefois, l’irritation qu’ils suscitaient revêtait au moins le mérite de le faire tenir debout malgré son état d’épuisement général. Lucius n’avait pas rêvé la nuit dernière puisqu’il n’avait pas dormi, mais cette alternative n’améliorait pas sa condition physique. Il trouvait cependant préférable d’essuyer les dégâts d’une nuit blanche à la compagnie menaçante des ombres.

D’ailleurs, maintenant qu’il y réfléchissait, celles-ci ne constituaient peut-être qu’une représentation fantasmée de la foule qui l’effrayait tant. Après tout, les ombres le lynchaient aussi à leur manière. Ou peut-être figuraient-elles dans son inconscient profond les âmes tourmentées de ses victimes. La pensée de toutes les personnes qu’il avait assassinées ne suscitait nul remord en Lucius, mais parfois, il ne pouvait s’empêcher de se demander tout de même si le poids de ces morts encombrerait son âme dans l’Au-Delà. Certains prétendaient que tuer déchirait l’âme, mais Lucius ignorait quel crédit leur accorder. Il se disait souvent que cette affirmation ne recouvrait aucune vérité et ne poursuivait pas d’autres buts que de décourager les pulsions meurtrières que chaque humain possédait par nature.

La matinée passa lentement. Les heures s’égrainaient avec une telle lenteur que les aiguilles de l’horloge semblaient frappées d’un maléfice de glu perpétuelle, les minutes s’étiraient à l’infini.

Dire qu’il allait devoir supporter cette même longue et pénible attente le lendemain et le surlendemain parce que le procès de sa femme s’étalait sur trois longues journées.

Enfin, midi sonna. Puis treize heures. Son estomac ne se manifesta pas autrement que pour se tordre d’anxiété dans son ventre, et Lucius continua de tourner et virer dans la pièce avec une nervosité croissante. Parfois, son regard accrochait brièvement l’auréole laissée sur les murs par les tableaux centenaires que les Aurors avaient décroché lors des premières semaines de l’assignation à résidence de sa famille, avant de revenir vers la fenêtre, irrésistiblement attiré. Narcissa resterait dormir dans les cellules du Département de la Justice Magique, mais Jack et Drago rentreraient le soir même et lui apporteraient des nouvelles.

Excédé par sa propre nervosité, Lucius décida de s’asseoir pour ramener un peu de calme dans son corps et son esprit. Il se laissa tomber dans un fauteuil dans un élan qui manquait singulièrement d’élégance par rapport à son habitude. Mais la prestance était bien le cadet de ses soucis en cet instant où il songeait que la condamnation de Narcissa ouvrirait une brèche irréversible en lui. Comment continuer à vivre sans son unique soutien ? Comment supporter de porter devant son fils la responsabilité de la disparition de sa mère ?

Avec toute cette fébrilité qui l’habitait, Lucius ne s’attendait pas à ce qui lui arriva quelques minutes à peine après s’être assis.

Il s’endormit. Une seconde plus tard, il rouvrait les yeux dans le décor onirique du parc du domaine Malefoy. Les ombres étaient déjà là, faisant cercle autour de lui. Un frisson collectif parcourut leur meute obscure et Lucius, las et épuisé, leur jeta un regard d’effroi sans esquisser le moindre geste de fuite. Il savait tout espoir de dérobade voué à l’échec. La nature subtile dont elles étaient faites, entre le gaz et le brouillard, leur donnerait toujours l’avantage sur lui à la course. La seule chance de leur échapper restait ironiquement de les affronter.

Au-delà de la barrière noire mouvante qu’elles formaient, Lucius avisa son père qui se tenait en retrait. Les yeux gris et froids d’Abraxas le toisaient d’un regard impavide, et son visage aux traits âgés traduisait le plus odieux des mépris.

« Se laisser mourir de chagrin par amour, laissa tomber Abraxas, l’air aussi dégoûté que si son fils venait de lui proposer de manger une acromantula. Voilà bien une idée de lâche. Décidément, Lucius, tu possèdes le cœur faible dont on fait les hommes sans courage ni honneur.

– Vous ne pouvez pas comprendre », rétorqua Lucius avec froideur.

Depuis le rêve qui lui avait fait revivre le massacre des Moldus du 23 décembre 1977, son père, furieux que Lucius refuse d’obtempérer à ses demandes, ne lui avait plus adressé la parole et avait laissé sa fureur s’exprimer à travers la férocité des ombres.

Lucius avait bien essayé de le faire parler pour tenter d’en apprendre plus sur les causes de leurs rencontres nocturnes et de leur récurrence, mais Abraxas était demeuré muet, comme s’il n’entendait pas ses questions.

« Je comprends bien plus de choses que tu ne le penses, dit Abraxas d’une voix doucereuse.

– Permettez-moi de douter qu’un homme tel que vous puisse entendre quoique ce soit à l’amour conjugal : mêmes nos amis semblaient plus peinés que vous par la mort de mère. Tous pleuraient, même Jack, pas vous.

– Ne pas pleurer ne signifie pas qu’on est insensible. Cela s’appelle la dignité. Ce dont tu manques à tous les égards, visiblement », dit Abraxas sans se départir de son sourire.

Son rictus le dotait d’un air de hyène qui faisait ressortir ses joues émaciées. Ce détail interpella Lucius. Jusqu’à présent, il lui semblait que son père apparaissait toujours en bonne santé dans ses rêves et bien plus jeune qu’à l’époque où la dragoncelle l’avait emporté. Pourquoi le « fantôme » montrait-il des signes de vieillissement ?

« Dans votre cas il ne s’agit pas de dignité, mais d’un manque cruel d’empathie pour votre prochain, dit Lucius sans se démonter. L’affection que vous avez accordée à Mère tenait bien plus de celle d’un éleveur pour sa poulinière que de celle qu’un homme méritant le titre d’époux éprouve pour sa femme. Que pouvez-vous donc comprendre des sentiments que je nourris pour Narcissa ? Que pouvez-vous entendre de l’angoisse qui me tord les entrailles à l’instant même où je vous parle ? Si le Magenmagot la condamne à la peine suprême, non seulement je perdrais ma femme, mais j’acquerrais aussi la certitude de subir le même sort. Elle a été bien moins active que moi dans les rangs du Seigneur des Ténèbres.

– Tu as donc définitivement renoncé à défendre l’honneur de notre famille en tenant tête à tes accusateurs ?

– Je ferai ce qui doit être fait pour ma famille. Ma famille, pas la vôtre, Père, vous entendez ? Vous êtes mort et enterré depuis suffisamment d’années pour être libéré des devoirs de patriarche. Laissez les vivants gérer la situation comme ils l’entendent.

– Ton ingratitude est-elle si crasse que l’idée que ton propre père puisse ne pas trouver le repos par ta faute te laisse indifférent ? Tu es indigne de l’héritage que je t’ai laissé.

– Il va falloir songer à renouveler vos répliques, dit Lucius, caustique. Maintenant, envoyez-moi vos monstres, qu’ils me fassent sentir la dureté de votre colère et que je me réveille, qu’on en finisse. »

Lucius jeta aux ombres un regard peu amène. Elles le fixaient en exhibant leurs crocs immatériels, manifestant leur envie de l’attaquer. Son corps était tendu, prêt à livrer l’habituel pugilat, mais il était si épuisé qu’il s’était souvent demandé ce qui arriverait si une fois, une seule, il abandonnait la lutte, s’il laissait les ombres le dévorer. Leurs bouches carnassières formaient-elles une porte vers un autre monde ? Accéderait-il à l’Au-Delà par cette voie ? Son corps allongé auprès de Narcissa passerait-il de vie à trépas pendant que les ombres absorberaient son énergie vitale dans son songe ? Se réveillerait-elle aux côtés d’une dépouille ? La peur de l’inconnu et de la douleur l’avaient toujours empêché de s’abandonner, mais plus les jours passaient, plus la fatigue s’accumulait, et plus l’expérience le tentait.

Le moment était peut-être venu. Si tout ce qu’il voyait n’était réellement qu’un rêve, que risquait-il ? Puisque son père refusait de répondre à ses questions, cette solution restait encore la meilleure manière d’être fixé sur la nature de ses songes obsessifs.

« Tu ne te réveilleras pas, affirma Abraxas d’un ton péremptoire.

– Comment ça ? Demanda Lucius qui s’attendait si peu à cette réponse qu’il n’éprouvait aucune peur.

– Je commence à me lasser de te donner des conseils que tu refuses d’appliquer. Je ne te laisserai pas salir davantage l’honneur de la Maison Malefoy, je préfère te voir mort que libre après avoir renié les idées qui ont fait l’orgueil de toutes les générations qui t’ont précédé. Tu vas rester avec moi, Lucius, et hanter le miroir négatif du domaine, à la croisée entre le monde des vivants et celui des morts.

– Vous n’avez aucun pouvoir sur moi, dit Lucius sans dissimuler l’étonnement et la curiosité que lui causaient ce nouveau discours, vous n’êtes qu’un souvenir. Si les humains détiennent la capacité de me retenir prisonnier de mon propre manoir, vous ne pouvez rien. Votre seul pouvoir consiste à me tourmenter dans mon sommeil, et encore, je soupçonne ma conscience de vous créer de toutes pièces.

Vu le caractère du spectre, aussi revêche que l’homme de chair et d’os qu’avait été son père, Lucius songeait qu’il parviendrait peut-être à en tirer quelque chose en le provoquant.

– Comment faudra-t-il te le dire pour que tu l’entendes ? Gronda Abraxas. Puisque toute existence humaine est vouée à la dissolution, que le corps est condamné à disparaître que l’esprit qui l’a habité ait mené la vie d’un Saint ou qu’il ait assassiné la moitié de l’humanité l’espace de son incarnation terrestre, tu n’as qu’une seule chose à faire, Lucius : assurer le salut de ton âme. Livre-la tienne aux Détraqueurs, il s’agit de la seule voie possible pour t’épargner l’Enfer. Prône nos valeurs jusqu’à l’extrême, laisse cette société de médiocres te condamner et offre-toi une sortie de scène digne de la réputation des Malefoy. Mourir debout, quelle élégance !

– L’Enfer n’existe pas, père. Je pensais que nous étions d’accord sur le sujet.

– Bien sûr que si, c’est ce que tu appelles le Bas Astral, le séjour des démons et des damnés ! On y croise des créatures si terrifiantes que tu serais incapable de les décrire. Les rencontrer te fait comprendre qu’il existe des choses pire que la mort. Si tu refuses de te ranger à mes arguments, alors je devrais faire quelque chose.

– Je ne crois pas que les Détraqueurs possèdent le pouvoir de sauver quiconque de la damnation. Ces entités me semblent plutôt appartenir à une race de créatures venant précisément de l’enfer auquel vous faites allusion et qui auraient trouvé le moyen de se stabiliser dans notre monde. Mais elles, dit Lucius en montrant les ombres, qui sont-elles, père ? Vous avez parlé de miroir négatif, qu’entendez-vous par là ? »

La curiosité intellectuelle et la perspective d’obtenir certaines réponses lui insufflaient un regain d’énergie. Son esprit échafaudait déjà au moins deux hypothèses différentes sur la signification des propos de son père, mais celui-ci demeurait obstinément muet, alors il comprit que le dialogue n’intéressait pas Abraxas et prit peur.

L’instant suivant, les ombres le submergeaient. Elles le firent tomber à terre. Pour Lucius, il n’était plus question de se laisser dévorer. La souffrance et la terreur qui lui ravageaient les entrailles le poussaient à se débattre alors que leurs crocs maléfiques s’enfonçaient dans sa chair, mais ses assaillantes immatérielles ne pouvaient être repoussées par des moyens physiques. Il était contraint de subir leurs morsures en ne pouvant rien faire d’autre que s’agiter suffisamment fort pour que son double dans le monde matériel rouvre les yeux dans le fauteuil sur lequel il se rappelait s’être assis. Mais il avait beau hurler et gesticuler tant et plus, le décor du parc refusait de céder la place à celui du salon et sa chair se couvrait de rouge sous les lambeaux de ses vêtements.

La force physique de ces entités rivalisait largement avec celle d’un sphinx. Lucius éprouvait la même sensation que s’il était tombé dans l’océan en plein ouragan. Il peinait d’ailleurs à reprendre son souffle, le corps rudoyé et broyé par cette marée ténébreuse. L’idée qu’il ne se réveillerait peut-être pas cette fois-ci le traversa à l’instant où une ombre, divisant et étirant son corps éthéré, s’insinua dans ses narines. La respiration bloquée, Lucius eut le réflexe d’ouvrir la bouche et une autre créature s’y engouffra aussitôt pour s’installer dans sa trachée. Il commença à suffoquer. Il voulait hurler, insulter son père, mais aucun mot ne sortait. Il toussait et il lui semblait cracher des flammes qui brûlaient ses poumons asphyxiés. Ses yeux gris s’écarquillèrent d’horreur sur l’étendard noir du ciel moucheté d’étoiles alors que les ténèbres plongeaient dans son corps, remplissaient ses organes, saturaient ses cellules et obstruaient en lui le chemin de la vie.

Il entra en convulsions.

Lucius Malefoy mourait dans le monde de ses songes et personne n’en savait rien.

Ses dernières pensées n’allaient ni à son père, ni à Narcissa ou à Drago. Dans l’intensité pénétrante de l’instant ne lui restait la conscience que d’une seule chose, sa propre fin.

Un cri perçant lui parvint, lointain dans l’horizon bouché de la mort qui tombait lentement sur lui.

Dans la masse exaltée des ombres meurtrières, il discerna l’éclat du chemin d’or qui se perdait entre les arbres du parc. Son œil discerna une silhouette en mouvement. Elle semblait courir vers lui.

La pensée d’Eleonore, sa mère, le traversa. Venait-elle s’interposer entre son garçon et la violence d’Abraxas comme elle avait coutume de le faire de son vivant ?

« Lucius ! Lucius ! »

Cette voix n’était pas celle que ses souvenirs prêtaient à sa mère, mais les yeux écarquillés de Lucius ne discernaient plus rien. Pas même le ciel au-dessus de lui dont la noirceur semblait refléter sa propre obscurité intérieure.

Son corps ne disposait plus de la force de se débattre, mais tentait dans un réflexe vain de reprendre de l’air, ouvrant et fermant la bouche comme un poisson hors de l’eau. Plus aucune ombre ne l’entourait désormais, toutes œuvraient à présent depuis l’intérieur de son organisme. Lucius avait toujours cru qu’elles le dévoreraient à la manière des Détraqueurs, en assimilant son âme, mais c’était lui qui les avait absorbées. Leurs présences pernicieuses flétrissaient ses organes et figeaient son sang dans ses artères.

Une voix de femme s’éleva près de lui.

« Lucius ! Oh Lucius ! Que se passe-t-il ? »

Le visage anxieux de Narcissa flotta devant ses yeux hagards juste avant qu’il ne distingue les contours du lustre en cristal suspendu au-dessus de leurs têtes. La vaste étendue de plafond qu’il apercevait également lui fit comprendre que son corps avait glissé du fauteuil sur lequel il s’était endormi et convulsait par terre sous les regards terrifiés de sa femme, de Drago, de Jack et de trois des Aurors en charge de leur surveillance.

Ce qui obstruait ses poumons se dégagea subitement et Lucius se mit à aspirer de l’air et à souffler d’une façon désordonnée sous l’effet de l’adrénaline qui gorgeait ses vaisseaux. Il n’y avait pas un seul organe de son corps, pas un seul muscle qui ne réclamait pas de s’enivrer d’oxygène.

Lucius cessa brutalement de convulser et son corps resta inerte, pantelant sur le sol du salon.

Il sentit qu’un bras se glissait dans son dos et le redressait en position assise. Le ciel noir sous lequel il avait agonisé et le visage de son père, un crâne grimaçant de squelette sous la lune, se superposaient au plafond et à la figure tourmentée de Narcissa.

« Lucius ? Est-ce que vous nous entendez ? » Demanda la voix inquiète de Jack.

Lucius cligna des yeux pour montrer qu’il était bien présent à ce qui se disait, mais sa voix demeurait éteinte dans sa gorge, et le ciel noir, les ombres et son père gravés sur ses rétines. L’image des étoiles brillantes, indifférentes à la souffrance de l’homme qui s’éteignait des kilomètres au-dessous d’elles, hantait son esprit. Elles lui avaient paru si lointaines.

Si lointaines. Comment une âme aussi lourde et plombée que la sienne pouvait-elle jamais espérer les atteindre ? Lucius appartenait aux Ténèbres. Il le savait depuis longtemps, il l’avait toujours su. Pourquoi vouloir maintenant changer son destin ? Au nom de quel concept humain stupide prétendait-il modifier ce qui était inscrit dans le ciel ? La famille ? Mais face à l’Éternité, que restait-il des liens du sang et des êtres qu’ils rassemblaient ?

Les trois Aurors regardaient Lucius d’un air circonspect et abasourdi.

« Mais donnez-lui de l’eau ! » s’exclama Narcissa en leur jetant le regard qu’elle avait en d’autres temps réservé à Dobby lorsqu’il ne s’acquittait pas d’une tâche à la seconde où elle lui ordonnait.

L’un des Aurors fit apparaître un verre d’eau et le fit léviter jusqu’à elle. Narcissa le prit et le glissa délicatement entre les lèvres de Lucius en lui intimant « bois ». Il obéit avec une confiance aveugle. Le liquide soulagea sa bouche de la sécheresse qui y faisait rage, ramena la vie dans sa gorge puis dans ses membres en tombant dans son estomac. Son esprit recouvra peu à peu conscience et les yeux qu’il posait sur le monde se firent plus lucides. Son regard fit le point sur le visage affolé de Narcissa penché sur lui, puis sur ceux de Drago et de Jack juste derrière, barrés des mêmes traits anxieux.

« Lucius, que s’est-il passé ? Demanda Narcissa, les yeux embués de larmes.

– Je… Je me suis endormi et j’ai… fait un rêve. Tu sais lequel.

– Ton père ?

Il opina.

– Vous étiez en train de vous étouffer, Lucius, dit Jack. Mais cela ne ressemblait pas à quelqu’un qui s’étouffe parce qu’il a avalé de travers en dormant. Narcissa avait beau vous taper dans le dos et vous mettre dans toutes les positions possibles, vous continuiez à suffoquer. Comme si vous aviez réellement avalé quelque chose qu’il était impossible de faire ressortir. Ce n’est a priori pourtant pas le cas.

– Dans mon rêve, on m’attaquait… On m’étranglait , éluda Lucius qui ne voulait pas exposer ses rêves devant les trois Aurors qui le scrutaient d’un regard perçant.

– Je suis libre, Lucius, dit Narcissa, une pointe de joie incrédule perçant derrière son angoisse.

– Mais… Cela ne fait pas trois jours…, balbutia Lucius, de plus en plus hagard.

– Le Magenmagot n’a pas jugé nécessaire de prolonger mon procès au-delà de cette journée et les juges m’ont laissé le même choix qu’à Drago : quitter le manoir ou rester avec toi. Je leur ai dit que je te soutiendrai jusqu’au bout.

– Harry Potter, dit Jack en réponse à l’air interrogateur hébété de Lucius. Il a témoigné de l’aide que Narcissa lui a apportée dans la forêt interdite en laissant croire à sa mort. Il a rapporté mot pour mot leur échange au sujet de Drago, quand elle lui a demandé s’il était toujours vivant. Je n’ai presque rien eu à faire.

– L’accusation enrageait ! Renchérit Narcissa sans pouvoir dissimuler le plaisir que cette situation lui procurait. Potter est arrivé en début d’après-midi alors qu’il n’était plus attendu. J’ignorais qu’il venait pour prendre ma défense, sinon je me serai rendue le cœur nettement plus léger à ce procès. Après avoir entendu Saint Potter, le héros de la nation sorcière, plaider la cause d’une mère dont le seul souci était de protéger son fils unique, le Magenmagot n’avait plus d’autres choix que de me relaxer. »

Lucius bégaya une suite de mots incompréhensibles. Narcissa crut que c’était l’émotion de la joie, mais en réalité, la nouvelle le laissait beaucoup trop incrédule pour qu’il parvienne à en ressentir. Cette issue heureuse lui semblait trop facile, et la tête continuait à lui tourner. Il prenait conscience peu à peu de ce qu’il venait de vivre et l’épouvante le saisit.

Les ombres et son père étaient bien réels. Ils venaient de lui démontrer qu’ils pouvaient l’atteindre dans le monde matériel. Sans le retour précoce de Narcissa, Jack et Drago, il serait mort.

Plus inquiétant encore que la perspective de devoir affronter de nouvelles tentatives de meurtre à chaque moment d’assoupissement, Lucius sentait que son corps ne se remettait pas vraiment de l’expérience traversée. Quelque chose remuait dans ses entrailles et le rendait nauséeux.

Il se rappela les ombres qu’il avait absorbées, qui étaient entrées dans son corps. Se pouvait-il qu’il ait ramené ses monstruosités sur ce plan de conscience ? Les vivants qui circulaient entre les plans constituaient les meilleurs vecteurs pour les entités désireuses de voyager.

Il blêmit si violemment que les yeux de toutes les personnes présentes s’arrondirent de frayeur alors que Narcissa resserrait sa prise sur lui, de peur sans doute qu’il n’entre dans de nouvelles convulsions.

« Lucius, décris-nous ce que tu ressens. »

Lucius l’entendit, mais son esprit peinait à donner un sens aux mots. La raison en lui laissait à nouveau l’instinct aux commandes, et l’instinct lui commandait de se débarrasser par tous les moyens du Mal qui infectait son organisme.

Lucius tourna la tête à l’opposé de Narcissa quand un violent spasme contracta son estomac, suivi d’un incompressible haut-le-cœur. Il ouvrit la bouche dans un réflexe vomitif, mais rien n’en sortit. Son estomac vide depuis plus de vingt-quatre heures protesta, mais Lucius sentit à peine sa plainte, obsédé par le besoin vital de chasser les ombres hors de lui.

Sous les regards sidérés et épouvantés de Drago, de Narcissa, de Jack et des trois Aurors, Lucius essaya de se faire vomir, expectorant et toussant à s’arracher les muqueuses de la gorge, s’étouffant à moitié dans ses vaines tentatives, mais rien ne venait. Les ombres refusaient de sortir. Il sentait leurs griffes se planter plus fermement dans ses poumons. Il voyait leurs sourires hideux lorsque ses yeux révulsés se retournaient dans leurs orbites.

Il entendait les voix de Drago, de Jack et de Narcissa, mais elles lui semblaient provenir de trop loin pour qu’il puisse donner sens à leurs cris. Lucius ne se trouvait plus dans la même réalité qu’eux. Il était toujours piégé de l’autre côté. Ou alors c’était l’autre côté qui était revenu avec lui lorsque Narcissa l’avait tiré de son sommeil mortifère. Il ne savait plus, n’était plus en état de penser correctement et encore moins de réfléchir.

Son agitation décrut peu à peu lorsque l’irritation de son larynx lui déclencha de sévères quintes de toux. La crise le laissait haletant et tremblant. Drago et Narcissa en profitèrent pour l’attraper chacun par un bras afin de le relever.

Plus loin, Jack s’opposait aux Auros qui pointaient sa baguette magique sur Lucius avec le désir manifeste de lui jeter un sort.

« Vous êtes fou ! Hurlait le jurismagis, furieux. Rangez ça ! Pourquoi attaquer un homme à terre ? Vous voyez bien qu’il n’est dangereux pour personne, excepté pour lui-même ! »

Lucius entendit les Aurors rétorquer que justement, c’était de lui-même qu’ils comptaient le protéger. Le feulement d’un sortilège crépita au bout de l’une de leurs baguettes, mais le jurismagis s’empara du bras du lanceur et dévia la trajectoire de l’éclair rouge loin des trois Malefoy. La voix perçante impérieuse de Narcissa forma un chœur avec celle de Jack pour ordonner aux Aurors de ranger leurs baguettes. Puis au milieu des invectives que s’échangeaient le jurismagis et les Aurors, l’un invoquant les droits de l’accusé et les autres leur devoir de protéger le prisonnier, y compris de lui-même, Lucius fut rétabli sur ses jambes et transporté dans sa chambre par son fils et son épouse.

« Ils ont voulu le stupéfixer ! Dans son état ! S’indigna Drago dont Lucius percevait la rage sourde.

– Ce sont des imbéciles », enchérit Narcissa sombrement.

Ensemble, ils déshabillèrent Lucius et le mirent au lit sans qu’il ne leur oppose aucune résistance.

Il se sentait vide, privé de ses forces, et son esprit restait encore sous le choc des événements.

« Comment te sens-tu ? S’enquit Narcissa, anxieuse.

– J’ai connu des jours meilleurs », dit Lucius.

Le timbre guttural de sa voix le surprit. Puis il se rappela les raisons pour lesquelles elle était si abîmée. La honte le saisit au souvenir de l’état proche de la démence dans lequel femme et enfant l’avaient contemplé. Il hésita à parler de son dernier rêve à Narcissa. Comment pourrait-il jamais accepter de refermer les yeux après tout ça ? Aujourd’hui, il avait joué de chance, mais que se passerait-il si Narcissa ne parvenait pas à le réveiller la prochaine fois ? Et comment s’assurer que la sensation qu’il avait d’avoir emporté les ombres avec lui n’était bien qu’une hallucination induite par son état d’hystérie ?

« Tu devrais accepter de revoir Tracy Roberts, dit Narcissa, indiquant qu’elle aussi pensait à la violence de ce dernier rêve, je suis convaincue qu’elle pourrait t’aider.

– Plutôt inviter ces cancrelats d’Aurors à notre table. »

Lucius ne désirait pas revoir Tracy Roberts autant parce qu’elle lui déplaisait foncièrement que parce qu’il ne voyait pas comment une Psychomage pourrait se montrer d’une quelconque utilité si ses rêves n’en étaient pas vraiment, comme il le pensait.

Lucius se rappela de ce conte méconnu de Beedle le Barde, le préféré de Drago, sur le sorcier qui s’endormait dans une grotte et se réveillait sur une île au milieu de la mer, dans le nid d’un dragon. Il s’imaginait alors qu’il avait seulement rêvé qu’il était un pauvre humain vagabond. Puis on le transportait endormi dans sa grotte et il se réveillait à nouveau. Et là, il croyait qu’il avait rêvé qu’il était un dragon.

« Un jour, j’ai rêvé que j’étais un dragon, et à présent je ne sais plus si je suis Cuthbert qui a rêvé qu’il était un dragon ou bien si je suis un dragon qui rêve que je suis Cuthbert. »

Narcissa avait si souvent lu l’histoire de Cuthbert que Lucius s’en rappelait encore mot pour mot. À l’époque où il l’entendait faire la lecture à leur jeune fils, il était loin de se douter qu’il vivrait un jour une expérience similaire à celle du personnage de cette histoire.

Si l’esprit de Lucius restait si désorienté, c’était parce qu’il passait de la réalité terrestre – ou au moins de ce qu’il avait toujours perçu comme telle – à la réalité onirique dès qu’il s’endormait avec la facilité avec laquelle d’autres personnes changent de pièce dans leur maison. Il ne savait plus très bien où il en était à présent et tout ce qui l’entourait lui semblait sujet au doute. Était-il vraiment éveillé ou ce qu’il vivait n’était-il qu’un autre rêve, un rêve dans le rêve comme celui qu’il avait fait sur ses camarades Mangemorts l’autre soir ? Ou bien était-il décédé dans son sommeil et ne s’en était-il pas encore rendu compte comme le professeur Binns, seul enseignant fantôme de Poudlard ?

Lucius ne savait pas. Paradoxalement, la perte de repères qu’il ressentait était la seule chose qui lui semblait encore revêtir une consistance tangible. Il n’osait pas demander à Narcissa et Drago de dire ou faire quelque chose qui lui prouverait la réalité de leurs existences. Une telle preuve lui semblait de toute façon diabolique, comment pourrait-on jamais acquérir la certitude absolue d’être réel ? Et puis il ne voulait pas rajouter à leur affolement, mais il se sentait lentement perdre pieds, aspiré par la confusion et les angoisses de son esprit.

Drago finit par laisser ses parents en entendant que les éclats de voix dans le salon ne se calmaient pas. Narcissa amorça un mouvement pour le suivre, mais Lucius la retint par la main.

« Ne me laisse pas seul. Je ne dois pas dormir seul. »

La terreur à l’idée d’être emporté par le sommeil sans personne à ses côtés pour le veiller constituait la deuxième chose dont la réalité ne lui faisait aucun doute.

Narcissa, conciliante, s’allongea à son tour sur les draps, sans se déshabiller, et comme il lui demandait de lui faire la conversation, elle entama le récit de son procès. Lucius mobilisa toute son énergie pour rester éveillé et l’écouter, mais rapidement, ses paupières commencèrent à papillonner et son attention à flancher. Il lutta pour empêcher la léthargie de s’installer, mais malgré la peur, son corps s’enfonçait dans une mollesse irrésistible.

Lucius continua à avoir peur alors que l’océan du sommeil refermait sur lui ses vagues irréfrénables. Et il avait raison.

Sa conscience venait à peine de s’éteindre qu’il basculait de l’autre côté du miroir. Dans le monde des songes, des ténèbres et des ombres.

Lucius Malfoy - Death Eater by Monday-----AR on DeviantArt Procès Malefoy
Lucius Malefoy. Crédit : Monday.

Merci pour votre lecture ! Je vous renouvèle mes excuses pour le délai entre ce chapitre et son prédécesseur qui n’était pas censé se prolonger aussi longtemps à l’origine. Je comptais reprendre un rythme régulier après mon prochain déménagement (j’ai décidé d’arrêter de les compter) initialement prévu dans le courant du mois d’avril, mais la crise sanitaire risque de le repousser et intensifie mon rythme professionnel dans des conditions moins favorables qu’à l’accoutumée. Je ne peux donc que vous promettre de faire au mieux.

En attendant, je peux déjà vous annoncer la parution du chapitre 10 aux alentours du 25 avril. J’espère que vous êtes prêt-e-s, parce que les Mangemorts vont encore frapper 😈

D’ici là, vous pouvez découvrir d’autres textes de ma plume en vous rendant sur cette page ou en découvrant le prologue de mon roman d’urban-fantasy peuplé de beaux vampyres italiens.

J’espère que vous et les êtres qui vous sont chers vous portez aussi bien que possible dans l’étrange contexte national qui est le nôtre à l’heure où j’écris ces lignes. Prenez soin de vous. N’en déplaise à Lucius, toutes les vies sont précieuses. Toutes

@ bientôt quelque part sous des cieux plus cléments.

Chris

5 commentaires sur “Le Procès Malefoy, chapitre 9 : Hantise et strangulation [fanfiction Harry Potter]

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  1. Oh la laaaaa, ce rêve! Quelle intensité! Je crois que j’ai arrêté de respirer en même temps que Lucius 😀 Un détail m’a interpelée: je m’étais toujours dit que les « carcasses » des victimes du baiser du détraqueur continuaient à errer sans but à Azkaban, loin de leurs proches; je n’avais jamais imaginé qu’ils puissent être transférés à Ste Mangouste pour y recevoir de la visite.

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    1. Ton hypothèse sur les victimes des détraqueurs constitue une vision alternative intéressante ! En tout cas je trouve qu’elle colle bien à l’ambiance d’Azkaban. C’est terrifiant d’imaginer ces gens, même si criminels, errer comme des coquilles vides dans la forteresse 😱

      J’aimerais bien avoir le fin mot de l’histoire par l’autrice.Tant de questions restent sans réponse dans l’univers HP.

      Aimé par 1 personne

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