Presque un an après sa publication sur ce site, je reviens sur les coulisses de la création de mon texte La Frégate et l’Enfant. À l’époque, je n’étais pas prêt à l’introspection exigée par la rédaction du présent article, car je n’avais pas envie de m’appesantir sur les tristes émotions qui m’avaient inspiré ce texte, même si l’écriture les avait finalement transformées en message d’espoir. Mais aujourd’hui, je pense avoir acquis le recul suffisant pour revenir sur l’histoire de sa création pour le moins particulière.
Vous l’aurez peut-être remarqué dans l’article visé plus haut, mais contrairement à mes habitudes, j’ai laissé une image sans source, cela afin que sa légende n’interfère pas dans la réception du texte par ses lecteurs•trices. L’image en question, la voilà :
Certain•e•s l’auront peut-être reconnu : il s’agit du cimetière de Saint Barthélémy où Johnny Hallyday a été inhumé le 11 décembre 2017. À ce stade, je dois vous avertir : si la seule idée d’entendre encore parler de ce type vous colle une poussée d’urticaire, il vaut sans doute mieux arrêter votre lecture ici 😉
Pour celleux qui décident de rester, j’imagine que vous vous demandez le rapport entre l’idole disparue et mon texte, La Frégate et l’enfant.
J’ai longuement hésité avant d’écrire cet article. Ce qui m’a convaincu de le faire, ce sont les échanges avec plusieurs d’entre vous me confiant qu’iels adoraient savoir ce qui « se cachait » derrière les textes d’un•e auteur•e, l’histoire derrière l’histoire. Je vais donc essayer de décortiquer le processus créatif qui m’a animé durant la production de cette historiette moitié légende moitié conte philosophique, née comme une flèche dans l’émotion d’une période de ma vie.
L’exercice n’est pas aisé. Même avec le recul, il est difficile d’être lucide sur tout ce qui a pu présider à la production d’une œuvre. Mais c’est aussi une excellente occasion pour moi de réfléchir aux mécanismes créatifs et à la façon dont tout entre en compte dans le processus d’écriture : l’actualité, le vécu de de l’écrivain•e, son état d’esprit au moment où iel écrit…
La Frégate et l’Enfant est un texte issu des ateliers d’écriture Buffon, un rendez-vous mensuel d’écriture entre les membres de ma promotion de conseils en écriture, écrivains publics de la Sorbonne. Lorsque j’ai répondu présent à l’appel de notre camarade Alain B. pour écrire sur le sujet « vive la liberté ! », je ne pensais pas un seul instant écrire un texte hommage à Johnny Hallyday. Encore moins un texte dans lequel j’allais aussi jeter joyeusement mes préoccupations écologistes et l’état de ma pensée sur la question du libre arbitre de l’être humain.
Je garde de cette session d’écriture un sentiment troublant. Celui d’avoir été à la fois l’auteur-acteur et le témoin-spectateur impuissant d’une force créatrice qui me dépassait et qui m’a complètement échappé.
Retour sur cette expérience singulière.
L’émotion d’une disparition et le récit d’un enterrement inspirants
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Johnny Hallyday. Source
La mort de Johnny Hallyday dans la nuit du 5 au 6 décembre 2017 n’a pas pu vous échapper. L’émotion qui en a découlé m’a pris par surprise. Sans être un fan inconditionnel du rockeur, l’adolescent que j’ai été a adoré l’idole, et même si le jeune adulte et l’adulte que je suis devenu s’en sont peu à peu éloignés, j’ai continué à lui conserver mon affection et à éprouver de la gratitude pour tout ce que ses chansons m’ont apporté – et m’apportent encore. Elles qui depuis si longtemps peuplent mes heures de solitude heureuses et malheureuses, m’inspirent des histoires et des personnages et qui, dans certaines heures difficiles, ont pu m’aider à vivre.
Quand j’ai appris que Johnny était malade, je ne me suis pas inquiété un instant. Je pensais « il en a vu d’autres, il va s’en sortir cette fois-ci comme les autres. »
Sauf que non. Pas cette fois.
Ce combat fut celui de trop.
C’est ma mère qui m’a appris la nouvelle. Elle se rappelait combien l’adolescent que j’avais été adorait Johnny. À cet âge où l’on tâtonne à la recherche de qui nous sommes, on se cherche des repères, des modèles capables d’exhorter le meilleur en nous-même. J’ai aimé Johnny à l’instant où je l’ai vu pour la première fois. Il passait dans une émission de télévision où il chantait le titre Marie. Tous les mots seraient impuissants à vous décrire l’effet que m’ont fait son regard clair et son air généreux. Comme mon bien-aimé Jean Ferrat que je découvrirai quelques mois plus tard, cet homme me semblait porter son humanité à fleur de peau. Je l’ai trouvé beau dans l’authenticité qu’il dégageait, et je me suis épris de sa personne comme les gosses dans les fictions au cinéma dévorent des yeux les vieux guerriers à qui les rumeurs prêtent un tas d’exploits incroyables.
Dans mon imaginaire d’enfant, Johnny a joué pour moi la figure paternelle aimante et rassurante dont j’avais un besoin désespéré durant le divorce de mes parents, douloureux pour moi devenu objet-trophée dans la bataille qui opposait mon père à ma mère, et qui me retrouvais mêlé malgré moi à des enjeux qui m’écrasaient. Ironique peut-être quand on sait comme Johnny a été peu présent pour ses deux premiers enfants, mais le fantasme se fiche de la réalité.
L’univers musical de Johnny, et Johnny lui-même par ce qu’il dégageait et m’inspirait, ont ainsi participé à la construction de mon identité. Et même si ma première réaction à l’annonce de sa mort fut paradoxalement presque une non-réaction (« ah bon, Johnny est mort ? Oh non, c’est triste »), puis de la tristesse pour sa famille ( quel gouffre une telle personnalité doit laisser derrière elle pour ses proches !), un vide a fini par se creuser dans ma poitrine.
Johnny Hallyday, mort ? Cela m’est toujours difficile à concevoir aujourd’hui. Cela paraît tellement étrange, tellement décalé, d’imaginer mort l’homme dont l’ombre bienveillante a surplombé ma vie durant toutes ces années un peu à la manière d’un oiseau. Présence à la fois proche et lointaine dont le vol majestueux m’inspirait la conscience de la beauté du monde & de la vie, et l’envie de me dépasser. Présence qui semblait immuable, éternelle.
Incroyable cette capacité que nous possédons à nous aveugler sur notre propre mortalité ou sur celle des gens qu’on aime.
J’ai tenté de digérer ma peine en suivant de près les actualités : les réactions suscitées par sa disparition et l’hommage national qui a suivi. Quelque part, savoir que des centaines d’autres personnes la partageaient me réconfortait, mais je n’arrivais pas à imaginer que c’était fini. Qu’il était parti. Et puis j’ai entendu le récit de son inhumation.

L’un des habitants de l’île racontait que pendant l’enterrement, une frégate n’avait pas arrêté de tourner au-dessus de la foule. « C’est l’âme de Johnny qui dit un dernier au revoir avant de s’en aller », a dit l’un des témoins de la scène. Je ne pouvais pas rêver plus jolie anecdote pour discipliner le chagrin et me faire revenir à la raison (ou à la folie, c’est selon).
Celleux qui me fréquentent dans l’intimité le savent, je possède un côté mystique. Tel Voltaire, je crois en n’appartenant à aucun culte et je me méfie des religions et des dogmes établis. Je n’ai besoin de personne pour me faire ma propre idée du monde et pour penser, je n’ai pas besoin qu’on m’impose des temps de prières avec des rituels définis, ni qu’on m’interdise certains aliments pour me ressentir comme appartenant au monde et à la Création.
Pour faire bref, je crois à l’âme et à la réincarnation. Non, je ne suis pas en train de vous dire que j’ai cru que cette frégate était réellement Johnny réincarné (il n’aurait pas traîné), ni que l’animal agissait sous l’influence de son âme ou quoi que ce soit du genre, mais cette histoire m’a rendu le sourire. La frégate, espèce courante dans les petites Antilles, est un oiseau fascinant, un as de la voltige à qui l’on prête l’incroyable faculté de pouvoir voler des mois sans se poser. Un grand voyageur aussi libre et rock’n’roll que la star disparue donc.
Je tenais là les clés de voûte de mon prochain récit, mais de cela, je n’avais pas encore conscience en me penchant sur la proposition d’écriture de l’atelier Buffon du mois.
Le travail du thème, où quand mon cerveau a décidé de faire cavalier seul
Je le répète, en m’attelant à respecter la consigne d’écriture de l’atelier qui se résumait à cette phrase : « vive la liberté ! », je n’avais aucune intention d’écrire un texte d’hommage à Johnny Hallyday. J’ai donc procédé comme d’habitude en laissant les idées monter et en les jetant au fur et à mesure sur le papier. Pendant ce bouillonnement mental, j’ai oublié l’actualité, j’ai oublié Johnny – du moins je l’ai cru. Parmi les embryons d’histoires venues spontanément, il y avait celle d’un type fraîchement mort qui cherchait à duper Saint-Pierre et tous les anges pour s’enfuir du Paradis, endroit qu’il jugeait trop ennuyeux.
J’ai essayé plusieurs de mes idées, esquissé plusieurs débuts d’histoires, mais aucune ne me convenait. Alors j’ai posé mon crayon et observé une pause méditative autour du mot liberté pour voir ce qu’il m’inspirait d’autre. Le fantasme de chevaux sauvages courant sans barrière dans de grands espaces naturels à perte de vue, sous des nuées d’oiseaux virevoltant comme fumée dans le vent, m’a sauté à l’esprit. Cheval et oiseau restent somme toute des métaphores classiques de la liberté, mais l’image a su garder son charme.

Comme j’estime que des ailes qui vous permettent de franchir les précipices, les montagnes et les mers vous rendent plus libre que quatre jambes, aussi vite courent-elles, j’ai décidé que mon histoire mettrait en scène un oiseau. Sur son espèce, je n’ai pas hésité longtemps : ce serait une frégate, l’oiseau qui incarne à mon sens le mieux la liberté de par les légendes qui prétendent qu’il peut voler des mois sans ressentir le besoin de se poser.
J’ai ainsi trouvé le socle de ma prose : elle se présenterait comme une légende dont l’un des personnages principaux serait une frégate. L’idée m’a plu, j’ai décidé de la tester rapidement via l’écriture automatique.
Un cimetière blanc, au bord de l’océan.
Dans le chant des vagues,
Les sanglots d’une petite fille
S’écrasent sur la digue.Soudain, tout près d’elle,
Un bruissement d’ailes.
La petite fille jette un œil au grand oiseau noir qui l’observe.
C’est une frégate, espèce courante sur son île.« Pourquoi pleures-tu ? » Demande l’oiseau.
Sa voix est belle, profonde et douce.[…]
Il n’a fallu que quelques instants à mon imagination pour planter le décor de l’histoire – un cimetière – et en trouver le second personnage : une petite fille en larmes… Quant à la frégate, je l’ai découverte ainsi dotée du don de parole. Autre surprise : elle ne serait pas l’héroïne de l’histoire, mais plutôt le protagoniste : le personnage qui allait faire avancer l’action en consolant l’enfant et en lui montrant la voie à suivre. J’ignorais cependant encore pourquoi ledit enfant pleurait.
Bien sûr, à ce stade j’étais conscient que mon inspiration était polluée par l’actualité (le cimetière, la frégate), mais dans mon esprit, ma frégate n’était encore qu’un animal. Sage et doué du don de parole, certes, mais j’étais dans l’optique de produire un conte. Et puis il y a eu ces lignes :
L’oiseau l’observe, mélancolique. D’instinct,
La fillette perçoit la grandeur de l’âme qui lui fait face.« Vous n’êtes pas n’importe quel oiseau !
D’un disparu, vous êtes l’âme en repos. […] »La Frégate et l’enfant
J’ai alors compris que le texte était loin d’être aussi innocent que je le croyais. Je ne sais pas quand les choses ont basculé – il y aura je crois toujours quelque chose d’infiniment mystérieux dans l’acte de création – mais j’ai compris que malgré lui, malgré moi, mon cerveau ne pouvait dissocier l’oiseau de la figure de Johnny Hallyday, et que cette petite fille en pleurs face à lui… C’était moi.
Ainsi, l’actualité et l’émotion d’une période ne sont pas seules à avoir influencé ma créativité. Mon vécu, ma sensibilité et mes convictions ont également joué à mon insu.
Ma sensibilité transposée dans le personnage de la petite fille
Un auteur met-il nécessairement de lui dans ses personnages ? La question est ouverte. Les personnages de mon roman Les Ombres de Rome ont certainement tous un peu de moi. Phil Muti partage ma curiosité intellectuelle et ma bienveillance envers le genre humain ; Ruben Casarotti incarne ma révolte contre la marche du monde ; Ricardo Uzzeni a certainement hérité de mon humour et de mon sens – parfois cinglant – de la répartie ; tandis que Barsabas, son grand rival, tire sa patience de ma propre nature. Mais les points communs entre nous s’arrêtent à ces quelques traits. Aucun de mes personnages ne cache mon avatar dans la fiction. Aucun, à l’exception peut-être de la petite fille de La Frégate et l’enfant…
Même si je ne rêve pas de devenir pirate, et que je n’aspire pas non plus à un destin aussi grandiose que celui que ma plume a prêté à Sagarika, sa sensibilité, ses angoisses et ses doutes sont les miens au même âge. Enfant hypersensible, j’étais sincèrement inquiet du sort de la planète et des animaux et trouvais intolérables les injustices commises par l’être humain à leur encontre. Je m’interrogeais beaucoup sur la façon de les arrêter, et en étais finalement venu à la conclusion que, « trop petit », j’étais impuissant à changer quoique ce soit à la marche du monde.
Le problème, c’est qu’en grandissant, j’avais intégré cette croyance limitante. Le « je suis trop petit » s’est transformé en « je ne suis qu’un individu perdu dans l’immensité de l’univers, je suis trop insignifiant pour avoir le moindre poids dans la balance ». La perversité de ce type de certitude, c’est qu’elle finit par vous résoudre au fatalisme et vous conduit à subir votre propre vie. Heureusement, j’ai pu compter sur l’exemple de personnes extraordinaires pour sortir de mon inertie. Artistes passionnés ou fervents défenseurs de diverses causes qui m’ont amené à piger un truc essentiel : pour qu’un projet / un rêve devienne réalité, tout commence nécessairement par une action.
Je rêvais d’un monde plus respectueux des animaux, j’ai drastiquement réduit ma consommation de viande et de tout produit dont la fabrication nécessite leur exploitation.
Je rêvais d’une vie plus aventureuse, j’ai pris sur moi et accepté de sortir de ma zone de confort. Je suis parti loin de chez moi et j’ai commencé à dire davantage « oui » lorsqu’on me proposait de nouvelles expériences.
Je rêvais d’être écrivain, j’ai professionnalisé ma pratique de l’écriture en me montrant plus régulier et en communiquant autour de mes histoires.

Parmi les personnes qui ont secoué ma conscience se compte le pendant masculin de Sagarika dont elle est clairement inspirée : le capitaine du Sea Shepperd, Paul Watson, auquel le groupe Tryo rend hommage dans sa chanson éponyme.
J’ai glissé de mon âme en Sagarika jusqu’à lui prêter mon inclination pour la compagnie des morts. Aussi morbide que cela puisse sembler à la plupart des gens, j’adore me promener dans les cimetières, car ce sont des endroits propices à la méditation. Leur atmosphère véhicule une énergie particulière, subtile et pénétrante, qui rappelle évidemment l’évanescence de notre passage sur Terre, notre urgence de vivre, et donc d’agir.
La vertu de l’Action, c’est la leçon dispensée par la frégate de mon texte. Et cette vertu, c’est, entre autres, Johnny qui me l’a enseignée par son exemple. Je pense qu’inconsciemment, j’avais besoin de faire ressortir les émotions que sa disparition me causait, et je me suis involontairement mis en scène à travers l’enfant que la frégate exhorte à dépasser ses croyances limitantes, comme Johnny lui-même, par son histoire, sa voix et ses chansons l’ont réellement fait pour moi à l’adolescence.
La liberté, thème important pour moi
Qu’est-ce qu’être libre ? Non, ne partez pas, je ne vais pas disserter sur le sujet en deux parties, quatre sous parties et conclusion, et je ne prétends pas avoir de réponse universelle, chacun•e à la sienne. Chacun•e a sa propre idée de la liberté. Pour moi, elle consiste à pouvoir disposer de son temps comme on l’entend, de préférence pour mener les activités dans lesquelles on s’épanouit, que ce soit le tricot, l’éducation des enfants, la création d’entreprise, le golf ou l’écriture.
Dans l’article sur les 9 œuvres littéraires m’ayant marqué à vie, j’expliquais l’évolution de mon parcours professionnel et mon combat permanent pour être libre. Ce thème « vive la liberté » était donc on ne peut mieux choisi pour moi… Il semble être le pivot de mon existence, et c’est certainement pour cela que j’ai injecté autant de moi dans ce texte. Pour cela sans doute aussi, additionné à ma peine de l’époque, que la figure de Johnny Hallyday qui incarnait pour moi la liberté comme personne, a transcendé cette histoire.
On peut penser ce qu’on veut de lui. L’aimer, le détester, s’en ficher comme de sa première dent de lait, mais on ne peut pas nier qu’il a marqué l’histoire de la musique française et que sa voix résonnera encore longtemps dans nos radios, nos postes de télévision et nos soirées de mariage (si si). Ce type aura fait danser, aura fait rire, aura consolé et redonné espoir à des milliers de personnes, et rien ne m’enlèvera de l’idée qu’il a accompli ce pour quoi il était venu sur Terre. Sa voix m’a insufflé l’énergie de réaliser des tas de projets, et à l’heure où j’écris ces lignes, elle continue de faire partie de ces trésors qui me donnent envie d’aller toujours plus loin dans la réalisation de mes rêves, notamment littéraires. Parce que Johnny possédait ce petit supplément d’âme qui fait toute la différence et qu’il le communiquait à travers sa musique.
Quand j’y pense, il est tout de même cocasse qu’un atelier sur le thème « Vive la liberté ! », m’est inspiré un texte d’hommage à un chanteur connu sous le surnom du Taulier. C’est que Johnny s’est toujours senti proche des prisonniers, et il a tant et si bien chanté la liberté (ou sa privation), des Portes du pénitencier au Mirador, jusque dans son ultime album où la chanson Quatre mètres carrés raconte la misère d’un prisonnier dans sa cellule minuscule, qu’il a fini par en devenir le symbole. Même les prisonniers des lointains régimes totalitaires ont trouvé en lui une voix pour être entendus. Chacun•e se rappelle de la chanson Diego de Michel Berger, autre grand interprète que j’adore, mais chanté par Johnny, ce morceau prend une autre dimension. C’est un cri de liberté, un cri de révolte qui vous fend des tripes jusqu’à l’âme.
Diego Lepide, le Maître-Vampyre millénaire de mon roman Les Ombres de Rome, porte ce prénom grâce à ce morceau. Mon Diego, même s’il n’est pas prisonnier politique, c’est le Diego chanté par Johnny. Un révolté dans l’âme, un être avide de liberté, un exalté qui aime la vie et qui ose clamer ce qu’il est et ce en quoi il croit.
Les chansons, notamment françaises, ont toujours été pour moi une grande source d’énergie et d’inspiration, et je trouve dommage de se priver de ce trésor sous prétexte que notre culture musicale serait « ringarde » ou « beauf ». Les chansons de variété s’entremêlent à nos vies de façon bien plus profonde qu’on ne l’imagine parfois. Le Figaro en parle très bien dans son article Johnny Hallyday, le vrai frère de tout écrivain.
« Pour un écrivain, la chanson de variétés est une voix intérieure, capable dans le silence de joindre son souffle à celui de l’inspiration qu’il attend. »
L’influence de la musique et des souvenirs
Dans l’article où j’ai dressé une liste de musiques faisant l’éloge de la lecture et de l’écriture, je vous confiais qu’il y avait une chanson pour quasiment chacun de mes textes. C’est tellement vrai que je pense souvent à lancer un nouveau concept d’écriture sur le blog : « une chanson, une histoire », dans laquelle je partirais chaque fois d’un morceau pour écrire une nouvelle. Le temps me manque pour l’instant pour mettre cette idée en œuvre, mais j’ai déjà entamé sa réalisation officieusement. Saviez-vous que le roman Les Ombres de Rome, m’a été inspiré par deux chansons ? La Serveuse automate de Starmania et Another Day in Paradise de Phil Collins.
La première a donné le personnage d’Asia. Une jeune italienne en rupture avec la société, qui ne parvient pas à trouver sa place dans le monde du travail.
La seconde a suscité la rencontre entre Asia et le héros, Phil Muti, qui sera l’élément perturbateur de l’histoire.
——— Quel plus bel exemple qu’un roman pour comprendre l’importance capitale de l’Agir ? Sans action, pas de récit. L’inertie en littérature engendre rarement quelque chose d’intéressant – pitié, ne me citez pas Mme Bovary comme contre-exemple, je ne me suis jamais autant ennuyé en lisant un livre. ———
Ainsi, les Arts se nourrissent les uns les autres. Cela me paraît tellement évident que disant cela, j’ai l’impression d’enfoncer une porte ouverte, mais l’interpénétration de l’ensemble de nos influences n’est pas toujours évidente à déceler, et comme le dit très bien l’article du Figaro suscité, les chansons, à force de répétition, s’inscrivent en nous si profondément qu’elles finissent par s’incorporer à nos existences au point de nous identifier. La Frégate et l’Enfant m’a appris que même si vous ne les écoutez pas pendant des années, elles peuvent survivre longtemps dans votre mémoire jusqu’à ce que quelque chose, un jour, vienne exhumer leur souvenir.
Lorsque je suis arrivé au point final de mon texte, un peu assommé par le résultat qui ne collait pas du tout à mes projections initiales, j’ai commencé à cogiter à ce qui venait de se produire, et la spontanéité avec laquelle mon cerveau a associé Johnny à la figure du Grand Oiseau du récit m’a interrogé. En dehors du rôle qu’il a joué dans mon évolution et de l’anecdote entendue lors de son inhumation, je pressentais qu’il y avait quelque chose d’autre qui avait contribué à le placer si naturellement dans le rôle de philosophe à plumes dans mon esprit. À force de me creuser la tête, j’ai fini par exhumer de ma mémoire un trésor vieux de presque vingt ans. Le souvenir du conte musical Émilie Jolie, que j’ai écouté tant et plus enfant, et qui m’a fait tant rêver.
Dans l’une des chansons, la petite héroïne rencontre le Grand Oiseau, un personnage majestueux qui tire sa sagesse de sa capacité à voyager loin grâce à ses ailes. Comme dans mon conte, Émilie émet le souhaite de l’accompagner dans ses voyages (mais il s’agit vraisemblablement ici d’une métaphore sur le suicide infantile) et le Grand Oiseau refuse. Il éveille la conscience de l’enfant à la chance que représente le fait d’être en vie et l’invite à prendre soin de ce qu’elle a déjà près d’elle avant de rêver à d’autres voyages.
Devinez qui chante les dialogues du Grand Oiseau ?
Quel choc et quel plaisir de redécouvrir ce conte, et particulièrement ce morceau. Johnny m’avait marqué dans ce rôle. C’était ma chanson préférée de l’album, les paroles associées à la douceur et la puissance de sa voix m’avaient atteint au cœur, et vingt ans plus tard, l’effet est exactement le même. Le cerveau est décidément quelque chose d’étonnant. Je n’ai pas entendu cette chanson durant près de vingt ans et pourtant, alors que mon cerveau semblait l’avoir oublié en surface, elle était bien restée encodée quelque part dans la mémoire.
Ce constat m’amène à la conclusion-question de cet article : peut-on vraiment créer quelque chose de neuf ? Plutôt qu’une innovation complètement utopique, la créativité ne consisterait-elle pas plutôt à faire quelque chose à partir de la somme des choses qui nous composent, notamment notre histoire et nos inspirations ?

Merci de m’avoir lu. Et puisque cet article lui est un peu consacré, je le termine par une citation de Johnny Hallyday :
Ma devise est : exister, c’est insister !
Et pour vous, qu’est-ce que la liberté ?
Joie et sérénité dans votre cœur, qu’importe l’état de votre opinion sur Johnny 😉
Chris
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