Retrouvez les commentaires des précédents jours / chapitres ici :
Jour 1 : Introduction
Jour 2 : Prologue
Jour 3 : Un Goût de paradis
Jour 4 : Puntarenas
Jour 5 : La Plage
Jour 6 : New York
Jour 7 : La Forme des données⚠️ Attention, tous les articles contiennent des spoilers sur des éléments du livre non portés à l’écran.
Michaël Crichton est un petit filou. Alors qu’il m’avait habitué à de brefs chapitres qui me permettaient de consacrer une heure à la lecture du chapitre du jour puis à la rédaction de son analyse pour le blog à la fin de ma journée de travail, notre cher auteur a soudain triplé le volume de ses chapitres et il a fallu m’accorder davantage de temps de réflexion pour décider de l’angle sous lequel les attaquer.
En outre, mes problèmes chroniques de santé me contraignent depuis plusieurs mois à ralentir toutes mes activités littéraires, blog y compris. Je m’en excuse auprès de vous, abonné•e•s, mais aussi auprès des auteur•e•s qui attendent que je critique leur roman. Cela viendra, je vous le promets. Je déteste laisser des choses inachevées et je compte bien reprendre petit à petit toutes mes activités littéraires et créatives, mais à mon rythme, sans m’imposer une quelconque exigence de productivité que je serais de toute façon incapable de tenir en fonction des aléas de mon état physique et mental.
Pour mon retour, j’ai eu envie de poursuivre cette série d’articles consacrée à Jurassic Park car rien ne me remonte autant le moral que de parler de dinosaures 😊 Allons donc de ce pas rendre visite à l’un des personnages les plus connus et appréciés de la saga : le paléontologue Alan Grant, ainsi qu’à son étudiante (petite amie dans le film) Ellie Sattler !

La Côte de la mer intérieure
Celleux qui comme moi ont vu le film de Spielberg avant de lire l’œuvre dont il constitue l’adaptation auront l’impression que les choses sérieuses commencent à partir de ce chapitre. En effet, excepté le chapitre 3 : Un Goût de paradis qui constituera la scène d’ouverture du deuxième film Le Monde Perdu : Jurassic Park, il s’agit du premier chapitre du roman de Crichton a avoir eu droit à son adaptation dans Jurassic Park premier du nom. Cependant, vous allez voir que la scène du film est en réalité un condensé de plusieurs chapitres du livre.

La Côte de la mer intérieure nous présente deux des principaux protagonistes de la saga : Alan Grant (Sam Neill), un paléontologue s’intéressant de près aux hadrosaures (aussi appelés « dinosaures à bec de canard ») et aux vélociraptors, et Ellie Sattler (Laura Dern), une paléobotaniste. Et quel meilleur endroit pour faire la connaissance de ces deux là que leur terrain de prédilection : un site de fouilles ! Celui-ci se situe dans les bad lands dans le Montana, connues pour leur beauté hostile et saisissante et surtout pour leurs sols riches en ossements de dinosaures. Nul ne s’étonnera qu’Alan Grant s’y sente dans son élément comme en témoigne ce passage :
Les visiteurs trouvaient les bad lands d’une austérité déprimante mais, quand Grant contemplait ce paysage, il y voyait tout autre chose. Ces terres désolées étaient tout ce qui restait d’un monde très différent, disparu depuis quatre-vingt millions d’années.

Alan s’y sent tellement bien, se considérant lui-même comme un « homme de terrain » préférant les conditions difficiles des bad lands à l’université de Denver où il enseigne comme professeur de paléontologie, qu’un personnage du film dira à Donald Gennaro, l’avocat représentant les intérêts de la fondation Hammond (en réalité c’est un peu plus complexe que ça, mais ne grillons pas les étapes sinon vous n’allez plus rien comprendre) qu’il n’existe aucune chance pour que Grant accepte de quitter le Montana afin de se rendre au Costa Rica.
Crichton nous fait un peu plus ressentir l’affection du paléontologue pour les bad lands et ses créatures pétrifiées dans la roche et le temps en livrant une description détaillée du site tel que les dinosaures l’auraient connu. En revanche, de l’aspect d’Alan Grant lui-même, nous ne saurons que trois choses : il est « un barbu de quarante ans au large poitrail ». (Mon goût immodéré pour les hommes barbus regrette que cet élément n’ait pas été conservé à l’écran).

Nous rencontrons ensuite le personnage d’Ellie Sattler, « âgée de vingt-quatre ans, le teint hâlé, des cheveux blonds attachés en queue-de-cheval » et portant « un jean coupé en haut des cuisses et une chemise nouée autour de la taille ».
En lisant ce passage, je suis d’abord surpris par la jeunesse d’Ellie que je me représentais plus âgée dans le film, voire du même âge qu’Alan avec lequel les scénaristes l’ont mise en couple alors qu’elle n’est que son étudiante dans le roman. Toutefois, après vérification, il s’avère que Spielberg a respecté la différence d’âge entre les personnages à travers leurs interprètes puisque Laura Dern (Ellie Sattler) a 54 ans aujourd’hui tandis que Sam Neill (Alan Grant) en a 73.
Alors que la romance entre ces deux personnages se dévoile rapidement dans le scénario du film où Ellie taquine Alan à propos des enfants, le second disant les détester alors que la première souhaite en avoir un jour, le roman se contente d’établir entre eux une estime professionnelle mutuelle.
La Ellie du roman signale à Alan l’arrivée de Bob Morris, un avocat de l’Agence pour la protection de l’environnement. Grant attendait cette visite mais se demande ce qu’un tel fonctionnaire peut bien lui vouloir :
Grant savait que la paléontologie, la science des êtres disparus, prenait depuis quelques années une importance inattendue dans le monde moderne. Ce monde changeait rapidement et des questions urgentes sur les conditions météorologiques, la déforestation, le réchauffement général de l’atmosphère ou la couche d’ozone semblaient pouvoir obtenir des réponses, au moins partielles, du passé.
Nous constatons à nouveau deux choses à travers ses réflexions. Tout d’abord et comme nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer dans cette série d’articles, les problématiques de notre monde n’ont quasiment pas évolué depuis l’écriture et la publication de Jurassic Park. Ensuite, Crichton fait état d’un courant de pensées toujours vigoureux à ce jour selon lequel l’étude du passé – ici de la paléontologie – peut apporter un éclairage pertinent sur certaines situations du présent et aider à résoudre certains problèmes modernes.

Je fais moi aussi partie de ces personnes qui estiment toujours utile de connaître le passé, toutefois, je ne crois pas qu’il y ait systématiquement des leçons à en tirer pour la bonne raison que même si certaines situations semblent se répéter, le contexte, les acteurs et les enjeux sont chaque fois différents. Il n’est donc pas toujours approprié de bâtir des stratégies sur des données extraites de l’observation d’événements passés (le premier exemple qui me vient en tête pour illustrer cette réalité est celui de la ligne Maginot). Il semble cependant que s’en référer aux « anciens » [les humain•e•s ayant vécu avant notre époque] et à leur prétendue sagesse constitue un réflexe très humain pour contester le moindre changement qui se profile, même sur des sujets aussi insignifiants (comparativement à une situation de crise telle qu’une guerre) qu’une réforme de l’orthographe ou l’avènement de l’écriture inclusive. Pourtant, nous devrions admettre que les temps révolus sont révolus (hélas pour les dinosaures !), ou comme Molière a pu le dire avant et mieux que moi :
“Les anciens, monsieur, sont les anciens, et nous sommes les gens de maintenant. ”
De Molière / Le Malade imaginaire
Bref, je m’égare. Le sujet « Les leçons à tirer du passé » nécessiterait un article à lui seul. Revenons donc à nos dinosaures ou plutôt à notre fonctionnaire.
Portrait de John Hammond, le fondateur d’InGen. Source.
Bob Morris ne tarde pas à révéler l’objet de sa visite : il souhaite interroger Grant sur John Hammond, le fondateur de la société InGen. En effet, l’Agence pour la protection de l’environnement se préoccupe des activités de la fondation Hammond. Or, les 30 000 dollars annuels que celle-ci verse à Grant depuis cinq ans pour financer ses fouilles laissent à penser que les deux hommes se connaissent.
Morris est vite déçu : Alan Grant ne sait pas grand chose du milliardaire excepté que sa fondation constitue une source respectée de subventions universitaires finançant beaucoup de recherches sur les dinosaures parce que lui-même « est dingue de ces grosses bêtes ».
Nous apprenons également que Grant n’a rencontré Hammond qu’une ou deux fois et qu’il lui apparaît comme un « excentrique toujours plein d’enthousiasme ».

Bob Morris explique que la fondation Hammond ne subventionne curieusement que des sites septentrionaux sans jamais financer aucun programme de fouilles dans le sud alors que d’éminents paléontologues y travaillent également. Morris s’interroge également sur le lien pouvant exister entre les dinosaures et l’ambre, car Hammond a investi plus de dix-sept millions de dollars pour acheter des stocks de cette matière sans aucune valeur commerciale ou militaire et facile à reproduire artificiellement. Encore une fois, les lecteurs•trices qui ont déjà vu le film de Spielberg et pour lesquels•le l’utilisation qu’Hammond fait de l’ambre paraît évidente ne manqueront pas de sourire en lisant ce passage et les suivants, puisque ces achats compulsifs ne constituent pas son seul agissement mystérieux. Hammond a également loué une île au Gouvernement du Costa Rica dix ans plus tôt sous prétexte d’y créer une réserve biologique. Cette île n’est autre qu’Isla Nublar et nous comprenons vite à la description qu’en fait Morris qu’elle est parfaite pour y lâcher des dinosaures en toute impunité :
L’île se trouve à cent soixante kilomètres de la côte occidentale du Costa Rica. Elle est très accidentée et, dans ces parages, la conjonction des vents et des courants engendre un brouillard presque permanent. Les autochtones la surnomment l’île des Brumes.

Morris questionne Grant sur cette île car son nom y est associé accompagné d’honoraires de consultation. Grant s’en étonne et explique qu’il a bien été consultant pour InGen, toutefois l’objet du contrat ne portait pas sur une île. Nous apprenons que Grant est devenu une célébrité de la paléontologie en 1983 après sa découverte d’une flopée d’œufs de dinosaures et la publication de ses travaux sur les troupeaux d’hadrosaures et leurs nids communautaires. InGen l’a alors contacté à travers Donald Gennaro, leur conseiller juridique, pour lui demander des renseignements sur les habitudes alimentaires des dinosaures. Grant ajoute qu’InGen lui a proposé de l’argent contre l’écriture d’un article sur le sujet, précisant que Gennaro s’intéressait surtout aux jeunes dinosaures. InGen aurait avancé comme justification à ces demandes l’ouverture prochaine d’un musée à destination des enfants sur lequel travailleraient déjà plusieurs paléontologues, un mathématicien du nom de Ian Malcolm, deux écologistes et un analyste-programmeur.
Grant a finalement accepté d’écrire l’article mais Gennaro ne cessait de téléphoner, y compris au milieu de la nuit, pour demander si les dinosaures mangeaient telle ou telle chose. Cela a fini par agacer Grant et il a abandonné le projet (notons que nous retrouvons là le caractère parfois un brin acariâtre de son homologue de cinéma qui finira par lasser Ellie Sattler et par les séparer).
Morris explique que l’agence pour la protection de l’environnement n’a pour l’instant aucune preuve de l’illégalité des activités de Hammond, ajoutant toutefois que c’est le Bureau de transfert de technologies qui l’a alertée. « Cet organisme contrôle les expéditions de matériel américain pouvant avoir de l’importance dans le domaine militaire », ajoute Morris. Or, InGen s’est doté de trois Cray, des « superordinateurs extrêmement puissants », ainsi que 24 Hood, des « séquenceurs automatiques, des machines capables de déterminer seules les codes génétiques, si récentes qu’elles ne figurent pas encore sur les listes du matériel sensible. » Une Hood coûtant à elle seule un demi-millions de dollars, nous comprenons encore plus aisément la réplique de John Hammond dans le film :

L’Agence pour la protection de l’environnement redoute qu’InGen ne soit « en train de mettre sur pied l’une des plus importantes installations de génie génétique du monde dans un petit pays d’Amérique centrale. Un pays sans réglementation. »
Outre les inquiétudes suscitées par les activités d’InGen sur le plan militaire (que trafique cette multinationale avec toutes ces machines de pointe sur une île perdue du Costa Rica ?), nous retrouvons ici l’angoisse moderne autour de l’avancée des connaissances dans le domaine de la génétique. Vous vous rappelez sans doute que cette angoisse était évoquée dès l’introduction du roman et qu’elle traverse l’œuvre de part en part, et force est de constater une nouvelle fois combien les choses ont peu évolué depuis la publication du livre de Crichton. Cette angoisse autour du génie génétique n’a cessé de croître dans nos sociétés (notamment à travers le sujet du transhumanisme), souvent corrélée avec une défiance assumée vis-à-vis des technologies sous toutes leurs formes. L’une et l’autre nous valent d’ailleurs depuis plusieurs années la production d’une multitude de livres, de films et de discussions politiques sur fond de dystopies dans lesquelles l’intelligence artificielle, finissant par surpasser son créateur humain, se rebelle contre lui, entraînant le règne des mutants / robots et obligeant les autres espèces à vivre sous leur joug ou dans la clandestinité.
En parallèle, Crichton évoque aussi la responsabilité des entreprises qui ne se soucient que de leurs profits sans tenir compte des périls qu’elles font courir à l’environnement comme à la société. Encore une autre thématique dramatiquement actuelle…
Avant de partir, Morris vérifie une dernière chose :
– Imaginons que le véritable objectif d’InGen n’ait pas été une exposition dans un musée. Auraient-ils pu utiliser d’une autre manière les renseignements que vous leur avez fournis ?
– Bien sûr, fit Grant en riant. Ils auraient pu nourrir un bébé hadrosaure.

LOL. Vous n’êtes tellement pas prêts, les gars = D
Ce chapitre, s’il nous prive du plaisir de rencontrer John Hammond en personne comme nous le proposait le film avec son irruption sur le site de fouilles et son invasion de la caravane qui sert de laboratoire à l’équipe de Grant, nous permet au moins d’en apprendre davantage sur InGen et son fondateur. À travers le personnage de Morris, Crichton esquisse d’Hammond un portrait bien éloigné du gentil vieillard adorant les dinosaures (et ses petits-enfants) campé par Richard Attenborough dans l’adaptation de Spielberg. Une fois le fonctionnaire parti, Grant lui-même en fait la remarque à Ellie :
« As-tu aimé la manière dont il a présenté John Hammond comme le parfait scélérat ? poursuivit Grant en riant. Hammond est à peu près aussi sinistre que Walt Disney… ».
Attention, mon brave Alan, car si l’écaille ne fait pas le reptile, l’habit ne fait pas le moine ! Le John Hammond de Crichton est définitivement plus sinistre que ce bon vieux Walt, mais nous y reviendrons en temps voulu.
Avant de vous quitter, il me reste un dernier point à noter.
Pendant la discussion avec Morris, le téléphone a sonné et Ellie a décroché. À présent que le fonctionnaire est parti, elle signale cet appel à Alan, précisant que son auteure est une femme répondant au nom d’Alice Levin. Cette dernière travaille au Centre médical de Columbia et souhaite que le paléontologue identifie les restes d’un animal.
Vous voyez duquel il s’agit ? Parfaitement, le « basilicus » qui a mordu la petite Tina sur une plage d’Amérique centrale !
Alan et Ellie du roman auront-iels un dinosaure en chair et en os entre les mains avant leur arrivée à Jurassic Park ?

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Quand j’étais enfant, j’étais fan de jurassic park ! Je collectionnais les articles, les jouets. Un peu plus tard, j’ai lu le roman qui a inspiré le film. Je ne m’en souviens plus bien car ça fait longtemps (j’ai 38 ans) mais j’avais beaucoup aimé. Je crois qu’il y avait plus de reflexion sur la bioéthique que dans le film…
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En effet, le roman est imprégné de réflexions sur la bioéthique d’un bout à l’autre (et c’est aussi un ouvrage de vulgarisation sur les dinosaures 😀 Crichton a fait très fort !)
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Un roman génial !
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Oh oui, dans tous les sens du terme 😉
Merci pour ton passage !
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Avec plaisir. Ta critique est vraiment très bien écrite !
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Merci beaucoup, cela me va droit au cœur car j’adore ce livre et cet univers ☺️
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