Jurassic Park : comparaison entre le roman de M. Crichton et son adaptation par S. Spielberg, jour 10 : Cowan, Swain et Ross

Retrouvez les commentaires des précédents jours / chapitres ici :

Jour 1 : Introduction
Jour 2 : Prologue
Jour 3 : Un Goût de paradis
Jour 4 : Puntarenas
Jour 5 : La Plage
Jour 6 : New York
Jour 7 : La Forme des données
Jour 8 : La Côte de la mer intérieure
Jour 9 : Squelette

⚠️ Attention, les articles contiennent tous des spoilers sur des éléments du livre non portés à l’écran

Notre analyse comparée du roman Jurassic Park de Michaël Crichton et de son adaptation cinématographique par Steven Spielberg continue ! Dans le chapitre du jour, nous faisons la connaissance de Donald Gennaro, le conseiller juridique d’InGen dans le roman et l’avocat représentant les investisseurs de John Hammond dans le film.

Une fois n’est pas coutume, je vous propose de commencer par analyser le personnage tel qu’il nous apparaît dans le film avant de nous pencher sur le cas de son homologue littéraire.

Donald Gennaro est le deuxième personnage nominativement identifié du roman à apparaître à l’écran dans Jurassic Park de Spielberg après le chasseur Robert Muldoon. En effet, même si le nom de ce dernier n’est pas clairement cité lors de la scène d’ouverture du film, c’est bien lui qui supervise le transfert des vélociraptors dans leur enclos et qui tente en vain de sauver l’ouvrier des griffes de l’animal lorsque l’opération tourne au drame, donnant même l’ordre de l’abattre (le raptor, pas l’ouvrier). Ordre peu anodin au regard de la valeur pécuniaire des animaux d’InGen et de l’amour incommensurable que leur voue John Hammond.

La scène dans laquelle nous faisons connaissance avec Donald Gennaro constitue la suite directe de cette entrée en matière brutale.

L’avocat arrive sur le site de Mano De Dios, une mine d’ambre de République dominicaine où InGen se fournit en spécimens d’insectes fossilisés. Gennaro y est accueilli par un moustachu à chapeau (Juanito Rostagno d’après la distribution des rôles, joué par Miguel Sandoval) dont nous ignorons le rôle exact dans l’histoire, mais plusieurs éléments permettent de le déduire :

• Gennaro, à peine arrivé, lui mentionne l’incident avec le vélociraptor ;
• puis Gennaro s’emporte contre Hammond qui n’est pas là alors qu’il escomptait visiblement discuter de l’incident avec lui ;
• Rostagno s’excuse au nom d’Hammond, expliquant qu’Hammond a voulu se rendre au plus vite auprès de sa fille qui divorce (le film introduit indirectement ici un élément non négligeable de l’intrigue : la venue impromptue de Lex et Tim, les petits-enfants de John Hammond, sur l’île pendant le week-end d’inspection au grand dam de plusieurs personnages.)

Cet échange laisse supposer que Rostagno incarne la plus haute autorité sur le site de Mano De Dios après John Hammond et qu’il est assez proche de ce dernier pour avoir été chargé de présenter des excuses en son nom à Gennaro.

Évidemment, bien que Gennaro assure comprendre le désir d’Hammond d’être auprès de sa fille en cette période difficile, il apprécie peu cette absence qui ressemble à une fuite de ses responsabilités par couardise ou insouciance.

Gennaro ajoute que la famille de l’ouvrier tué par le vélociraptor demande vingt millions de dollars de dommages et intérêts. Il ajoute encore que les actionnaires qui ont soutenu Hammond dans son projet sont de plus en plus inquiets car l’accident a soulevé de graves questions sur la sécurité du parc. Gennaro, pour les calmer, a « dû promettre de réaliser une inspection sur place extrêmement minutieuse ».

Ce quoi à Rostagno lui répond l’air las :

Hammond déteste les inspections, vous savez bien, elles ralentissent tout.

Gennaro : ils veulent lui couper les crédits, ça va le ralentir beaucoup plus.

Admirez le pragmatisme de Gennaro.

Le plan suivant, nous entrons dans une mine et Gennaro explique que si deux experts donnent leur aval sur l’île, ils lâcheront prise. Gennaro dit qu’il a déjà parlé à Malcolm mais que les actionnaires le trouvent trop excentrique et qu’ils veulent l’avis de Grant.

Voilà comment, dans le film, nous faisons la connaissance de Gennaro et comment est introduit le personnage d’Alan Grant avec une superbe transition entre une ambre contenant un insecte pris au piège trouvée par les ouvriers et l’équipe de Grant exhumant du sable un vélociraptor dans les badlands un peu avant l’arrivée de l’hélicoptère d’Hammond.

Dans le livre, après que le personnage ait été évoqué à plusieurs reprises par d’autres, dont Grant et Hammond, nous découvrons Gennaro pour la première fois en chair et en os dans le bureau du cabinet juridique pour lequel il travaille.

On l’y trouve en conversation téléphonique avec John Hammond qui lui annonce que Grant a accepté de venir. Gennaro le félicite, mais lorsqu’il raccroche, il dit à son propre patron qu’ils ne peuvent plus faire confiance à Hammond car trop de pression pèse sur les épaules du vieil homme entre l’enquête ouverte par l’Agence pour la protection de l’environnement, le retard pris par les travaux du parc et la multiplication de morts d’ouvriers. Sans compter les lézards d’espèce inconnue mordant des enfants sur le continent.

Gennaro suggère lui-même de procéder à une inspection de l’île et ajoute avoir demandé à Hammond de prendre ses dispositions pour organiser un contrôle des différents chantiers. Requête à laquelle John Hammond ne s’est plié que de mauvaise grâce, affirmant qu’il n’y avait aucun problème dans l’île et que toutes les mesures de sécurité nécessaires ont été prises.

Cette affirmation nous donne un autre élément sur le John Hammond de Crichton : alors que tout tend déjà à démontrer que son projet est voué à la catastrophe et qu’il ne contrôle pas Jurassic Park comme il se l’imagine, Hammond refuse de l’entendre au mépris de vies humaines.

Cela commence bien. On comprend pourquoi Gennaro tire la sonnette d’alarme – d’autant que vous verrez dans deux chapitres qu’il connaît bien le bougre.

Nous apprenons également comment les deux hommes en sont venus à travailler ensemble. Gennaro a dû, peu après son arrivée au cabinet Cowan, Swain et Ross en 1982, assister Hammond, alors septuagénaire, pour se procurer les capitaux nécessaires à la création d’InGen. Si le cabinet s’est engagé dans le projet Jurassic Park en acceptant des parts dans la société InGen en échange de ses honoraires, c’est parce qu’il savait qu’il pouvait lui rapporter beaucoup d’argent.

Ross, le patron de Gennaro, lui demande quels experts il compte emmener avec lui pour l’inspection. Gennaro répond qu’il va commencer par emmener les spécialistes engagés par Hammond en début du projet, soit Grant, Sattler et le mathématicien Ian Malcolm. Ce dernier, précise Gennaro, « était ouvertement hostile au projet depuis le début ».

Nous apprenons aussi qu’une autre personne sera présente : un « technicien, l’analyste programmeur », allusion à Denis Nedry qui n’est pas encore nommé.

Si Gennaro souhaite prendre autant de précautions, c’est parce qu’il sent que Hammond se comporte vis-à-vis du parc comme un enfant gâté qui refuse d’admettre que son chien adoré peut représenter un grave danger.

Je crois qu’il (Hammond) tient à faire comme si tout allait pour le mieux, comme si c’était une simple invitation à visiter les installations dont il est si fier.

Le film a parfaitement su retranscrire cet état d’esprit d’Hammond à travers la scène de la caravane.

Ensuite, Gennaro téléphone à Grant pour s’enquérir du spécimen de procompsognathus découvert sur le continent et demande à Grant s’il l’a déjà en sa possession.

Peut-être pourriez-vous me donner quelques détails, insista Gennaro, afin que je puisse en faire la description à M. Hammond qui est très impatient d’en savoir plus. Je suis sûr que vous mourrez d’envie de voir ce spécimen… Je pourrais peut-être m’arranger pour qu’on nous l’envoie sur l’île pendant que nous y serons tous.

Évidemment, Hammond et Gennaro veulent s’assurer de la nature de l’animal car si c’est bien un dinosaure, cela prouverait déjà des failles de sécurité dans le parc.

Le parc n’est pas encore ouvert et nous avons déjà tous les ingrédients de son échec : l’aveuglement entêté d’Hammond, des dinosaures hors de contrôle et l’introduction du personnage par lequel le désastre va survenir prématurément : Denis Nedry.

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